Le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU repart au combat contre l’institutionnalisation en vigueur partout dans le monde. 20 pages de directives pour dénoncer ce système discriminant, voire « maltraitant ». Des voix ripostent…
L’ONU revient à la charge pour défendre le principe de « désinstitutionalisation ». Le 9 septembre 2022, la présidente de son Comité des droits des personnes handicapées, Rosemary Kayess, fait part de l’adoption de lignes directrices sur cette question prégnante partout dans le monde, véritable cheval de bataille de ce comité (Document de l’ONU sur la désinstitutionalisation (en anglais)).
Guider des États membres
Ces « lignes » sont destinées à guider et à soutenir les États membres dans leurs efforts pour « réaliser le droit des personnes handicapées à vivre de manière autonome et à être incluses dans la société » et leur « fournir l’opportunité de quitter les institutions », quitte à priver ces dernières de moyens financiers. Elles doivent servir de base à la planification des processus de désinstitutionalisation mais aussi à la prévention de l’institutionnalisation. Selon le comité, ce système se fait au mépris de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), ratifiée par la France en 2009 ; sans mentionner explicitement la désinstitutionalisation, son article 19 prévoit « l’égalité des droits pour chaque personne avec un handicap de vivre dans la communauté ».
Un impact néfaste
Ces directives s’appuient sur le retour d’expériences de 500 personnes handicapées avant et pendant la pandémie de Covid, y compris vivant en établissements. Le bilan de ces auditions révèle une institutionnalisation généralisée, soulignant son impact néfaste, qui se manifeste, selon le comité, par de « la violence, de la négligence, des abus, des mauvais traitements et de la torture, y compris des contraintes chimiques, mécaniques et physiques ». Ce rapport sans langue de bois évoque les « survivants de l’institutionnalisation ». Sont également mentionnés les risques encourus dans un contexte de guerre, comme mis en évidence récemment en Ukraine (article en lien). Le comité demande donc aux États de « légiférer afin de criminaliser la détention sur la base du handicap et l’institutionnalisation » et de « reconnaître dans la loi que l’institutionnalisation fondée sur le handicap représente une forme prohibée de discrimination ».
Une définition au sens très large
Le comité définit l’institutionnalisation au sens très large, bien au-delà des murs des établissements médico-sociaux. Dix critères ont été choisis, qui peuvent également faire référence à l’habitat inclusif, des petites unités de vie au cœur de la cité qui restent pilotées par le secteur médico-social ; ils font par exemple référence au partage obligatoire d’auxiliaires de vie, à l’absence de pouvoir sur les décisions du quotidien ou sur le choix des personnes avec qui l’on partage son lieu de vie, mais également à la rigidité d’une routine ou encore à l’approche paternaliste du fournisseur de services. Critiques, ces lignes sont également force de proposition, promouvant des solutions individualisées, le soutien par les pairs, l’autoreprésentation, les groupes de soutien…
Une adoption « historique »
L’adoption de ce document a été jugé « historique » par quatre organisations non gouvernementales et institutions nationales des droits de l’Homme : Transforming communities for inclusion- Asia Pacific, Coalition mondiale pour la désinstitutionalisation et Alliance internationale des personnes handicapées. Pour sa part, le Centre pour les droits humains des usagers et survivants de la psychiatrie a estimé très positif que les lignes directrices demandent que les survivants, de même que les personnes toujours placées en institution, puissent faire valoir leurs droits dans les procédures de réparations. Le Centre a appelé l’Organisation mondiale de la santé et le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à retirer les lignes directrices qu’elles préparent sur la santé mentale, estimant qu’elles perpétuent une approche néfaste de la prise en charge des usagers de la psychiatrie.
La France dans le collimateur
Dans ce domaine, comme de nombreux pays, la France est, elle aussi, dans le collimateur. A la suite de son audition en août 2021, l’ONU rend son verdict sur sa politique menée en faveur de personnes handicapées. Vingt pages de recommandations sans concessions qui poussent à métamorphoser notre système. Ce verdict n’y va de main morte, déplorant en préambule « une législation et des politiques publiques fondées sur le modèle médical et des approches paternalistes du handicap », égratignant au passage notre loi de 2005 pourtant considérée comme un modèle du genre qui « met l’accent sur l’incapacité des personnes handicapées et fait de l’institutionnalisation la norme ». La critique de notre système est poussée à son paroxysme puisque le comité recommande de « mettre fin au placement en institution des enfants et des adultes handicapés, y compris dans les maisons d’habitation de petite taille » au moment même où le gouvernement affiche de grandes ambitions pour promouvoir l’habitat inclusif.
Ripostes…
Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée aux Personnes handicapées, a réagi le 14 septembre lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), précisant qu’elle ne croyait pas à la possibilité de fermer tous les établissements. « Avec l’inclusion scolaire, l’ouverture des établissements et services d’aide par le travail (Esat) sur le monde du travail, nous sommes dans cette dynamique de désinstitutionalisation, justifie-t-elle. Pour aller plus loin nous devons encore développer les services à domicile, les solutions de répit… » Elle assure avoir pour boussole « l’auto-détermination » et promet que c’est la volonté des personnes en situation de handicap et leur famille qui orientera sa politique.
De son côté, le Groupe polyhandicap France s’indigne dans son édito de rentrée. « L’inclusion est un vrai, un beau, un magnifique projet, y compris avec des établissements ouverts sur l’extérieur, quoiqu’en dise le comité onusien ». Selon sa présidente, Marie-Christine Tezenas du Montcel, il s’agit là d’un « dévoiement de l’article 19 de la CDIPH et de la notion de choix ». « Pourquoi nous empêcher d’opter pour l’établissement en appelant à sa fermeture ?, interroge-t-elle. L’inclusion, oui, mais pas n’importe comment ! » Elle dénonce un « groupe de gens qui prônent l’inclusion dans la cité y compris pour des personnes dont ils ne connaissent ni les besoins ni les difficultés. A n’importe quel prix ! ».