[Opinion] Emploi et handicap : plus qu’une solution à la pénurie de main-d’œuvre

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Pour contrer la pénurie de main-d’œuvre, une solution qui revient assez fréquemment dans les médias est d’embaucher des personnes en situation de handicap. J’explique ici pourquoi cette proposition pose un problème.

Le problème de la pénurie de main-d’œuvre demeure d’actualité et nous force à nous adapter à de nouvelles réalités. Qui n’a pas été surpris·e depuis deux ans de voir des employé·es de plus en plus jeunes dans les commerces? Pressé·es par le manque de ressources humaines, les employeur·euses du Québec sont à la recherche de solutions pour pourvoir les postes vacants dans leurs entreprises.

Un portrait peu reluisant

Les personnes en situation de handicap demeurent sous-représentées dans le milieu de l’emploi. Dans certains cas, c’est par manque d’accessibilité ou de flexibilité des milieux de travail. Dans d’autres, c’est tout simplement par manque de volonté ou à cause de préjugés chez les employeur·euses. En effet, l’idée que ces personnes sont capables et ont le désir de travailler ne semble pas faire l’unanimité dans la population générale.

Lors de sa chronique du 6 septembre dans La Presse, Régis Labeaume tenait ainsi de manière décomplexée les propos suivants : « [On entend qu’]il faudra permettre à plus de handicapés d’entrer sur le marché du travail, par exemple. Pardon? On en est vraiment rendu là? ».

Par cet extrait, l’ancien maire de Québec dit tout haut ce que plusieurs personnes pensent sans doute tout bas : les personnes en situation de handicap n’ont pas leur place sur le marché du travail. C’est bien beau d’en embaucher quelques un·es, surtout lorsqu’on a du soutien financier du gouvernement, mais il ne faudrait quand même pas aller jusqu’à leur permettre de participer activement à la société, voyons!

L’idée que ces personnes sont capables et ont le désir de travailler ne semble pas faire l’unanimité dans la population générale.

Une discrimination profondément ancrée

L’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap s’inscrit dans le monde plus large de la lutte contre le capacitisme. Cette forme de discrimination basée sur les capacités des individus affecte particulièrement les personnes en situation de handicap. Elles sont ainsi perçues comme moins autonomes, voire dépendantes, et moins aptes à contribuer à la vie en société que les personnes dites capacitées.

Dans nos sociétés sculptées par le néolibéralisme, ces personnes font face à un bien triste dilemme : réduire leur identité au handicap dans l’espoir d’obtenir une certaine charité du gouvernement, ou bien tenter leur chance sur un marché du travail de plus en plus compétitif.

Malheureusement, les discussions sur le capacitisme occupent bien peu d’espace dans la sphère publique québécoise. Dans une récente chronique, Sophie Durocher ridiculisait d’ailleurs les démarches entreprises par un groupe de défense des droits des personnes ayant une paralysie cérébrale. Les commentaires de son lectorat sur les médias sociaux s’exaspéraient de cette nouvelle folie « woke ».

Le réel problème

Soyons clairs, le fait que les personnes en situation de handicap aient possiblement accès à des emplois est ultimement un gain positif. Cependant, je pense que de le présenter comme une solution à la pénurie de main-d’œuvre éclipse le réel problème, c’est-à-dire le fait que leur accès au marché du travail se conjugue depuis longtemps au conditionnel. En présentant leur embauche comme une solution novatrice, le milieu de l’entreprise se lave les mains de l’exclusion à laquelle il contribue depuis longtemps.

Embaucher des personnes en situation de handicap pour tenir des emplois peu désirables sonne tout à coup beaucoup moins noble.

De plus, cette situation soulève d’autres enjeux éthiques, notamment en lien avec la rémunération et les conditions de travail. Les emplois qui doivent être comblés sont généralement dans le domaine du service, où les conditions plus qu’ordinaires ont poussé de nombreuses personnes vers d’autres secteurs plus attrayants. Proposer d’embaucher des personnes en situation de handicap pour tenir des emplois peu désirables pour le reste de la société sonne tout à coup beaucoup moins noble.

Tout de même, j’ose espérer que la présence de ces personnes dans les milieux de travail pourra faire évoluer certaines mentalités et prouver la valeur de leur contribution à la société. Surtout, j’espère que ces gains ne seront pas qu’une mesure temporaire en attendant que se résorbe la pénurie.


Louis-Philippe Lachance Demers est doctorant en éducation à l’UQAM. Il s’intéresse à l’étude critique du handicap et au capacitisme, deux sujets qu’il explore sur la page Instagram Demande de service.

Publié le 01 novembre 2022
Par Louis-Philippe Lachance Demers
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