[Opinion] En mode solution – Le parcours du combattant des piétons aînés

Temps de lecture estimé : 5 minutes.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

« Au Québec, en 2022, parmi les personnes piétonnes, les plus de 65 ans représentaient un quart des blessés graves et près de la moitié des 79 décès », souligne l’auteure, citant des chiffres de la SAAQ.

Avril 2024. Une histoire malheureusement bien ordinaire, qui pourrait être la vôtre ou celle de l’un de vos proches, se déroule en toute discrétion dans les rues de votre quartier.

Pierre se prépare à visiter sa femme Jeanne, résidante d’un CHSLD depuis bientôt trois ans. À 81 ans, Pierre vit toujours dans la maison où ils ont passé leur vie commune, et il se rend auprès d’elle deux fois par semaine.

À l’aide de sa canne, il rejoint l’arrêt d’autobus situé à quelques minutes de chez lui. Sur le trottoir plutôt étroit, deux imposantes poubelles lui barrent le chemin, le forçant à descendre sur la chaussée.

Pierre sent dans son dos le souffle des véhicules filant à quelques mètres de lui. Il a toujours peur de perdre l’équilibre.

Arrivé à l’arrêt d’autobus, les jambes légèrement flageolantes, Pierre attend debout. L’arrêt se résume à un poteau sur lequel les heures de passage affichées sont si petites qu’il ne peut les déchiffrer sans ses lunettes. Ici, pas de banc pour se reposer ou d’abri pour se protéger des intempéries.

Pierre monte dans le bus et aperçoit la façade du CHSLD une dizaine d’arrêts plus tard. Pour s’y rendre, il doit traverser une intersection fréquentée. Le feu de circulation passe au vert, Pierre prend une grande inspiration avant de s’élancer. Il sait très bien que le temps de traversée est trop court pour les personnes qui marchent à sa vitesse.

Arrivé seulement à mi-chemin, la main clignotante du feu piéton s’allume et un coup de klaxon se fait déjà entendre quelques mètres plus loin. Accélérant le pas, Pierre atteint l’autre côté de la rue lorsque le feu de circulation est déjà rouge, essoufflé et nerveux.

Il est désormais à une centaine de mètres de l’entrée. Sur le trottoir discontinu qui relie le stationnement bitumé à l’accueil, Pierre doit enjamber une bordure et se frayer un chemin entre les voitures, dont la hauteur diminue sa visibilité.

En franchissant enfin la porte d’entrée, Pierre a une nouvelle fois déjoué les statistiques. Au Québec, en 2022, parmi les personnes piétonnes, les plus de 65 ans représentaient un quart des blessés graves et près de la moitié des 79 décès (SAAQ, 2024).

Des « zones santé »

Loin d’être un cas isolé, l’histoire de Pierre illustre les obstacles auxquels font face les usagers et usagères aînés aux abords des installations de santé, et même au-delà. Ces établissements, tels que les hôpitaux, les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ou les centres locaux de services communautaires (CLSC), sont pourtant des lieux de destination importants fréquentés tant par les bénéficiaires de soins que par leurs proches. Et la tendance va s’accentuer : en 2066, les personnes de 65 ans et plus composeront 27,7 % de la population québécoise, contre 20 % en 2020.

Dans ce contexte, pourrions-nous envisager la santé au-delà des murs de ces établissements pour favoriser le vieillissement actif ? Et s’inspirer de la zone scolaire pour aménager leurs abords de manière sécuritaire et conviviale ?

Plusieurs pistes d’action sont à notre portée, dont l’une est incontournable : établir les installations de santé au cœur de milieux de vie mixtes, desservis par les réseaux de transport et dans le périmètre urbain existant.

Les municipalités planifient de plus en plus leur territoire sous la lunette du vieillissement actif ; intégrer les lieux d’achalandage tels que les installations de santé dans les plans de déplacement ou de stratégies de sécurisation des rues est un prochain pas à franchir.

L’actuelle révision du Code de la sécurité routière aurait été l’occasion d’adopter une vitesse par défaut de référence à l’intérieur d’un périmètre urbain de 30 km/h pour faciliter l’apaisement de la circulation aux alentours des établissements et, pourquoi pas, dans le cadre du Plan d’action en sécurité routière 2023-2028, d’explorer davantage la notion de « zones santé ».

Les établissements peuvent également s’engager dans une démarche de concertation et de planification pour mieux aménager leur site, afin de contribuer à des environnements sûrs pour tous et toutes. Car lorsque les milieux de vie sont pensés en faveur de l’usager le plus vulnérable, Pierre peut aller rejoindre sa femme l’esprit léger, mais c’est aussi Hugo avec sa poussette et Mathilde avec son fauteuil roulant qui en profitent !


* Cosignataires : Pierre-Étienne Gendron-Landry, directeur général de Société Logique ; Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec ; Michael Udy, président de la Table de concertation des aînés de l’île de Montréal

Publié le 03 mai 2024
Par Véronique Fournier, Directrice générale du Centre d’écologie urbaine, et trois cosignataires*