[Opinion] Services publics: quand dématérialisation rime avec déshumanisation

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Demander une aide financière de dernier recours, ce n’est jamais facile: la loi est complexe, les obstacles administratifs sont nombreux, et le jugement social est lourd à porter pour les personnes en situation de pauvreté.

Quand, de surcroît, les services publics ne sont plus là pour accueillir, informer et accompagner les personnes dans leurs démarches auprès de l’État, cela devient littéralement le parcours du combattant. 

La qualité des services offerts au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) est en dégringolade. Les réformes des dernières années ont fait en sorte de réduire les contacts entre les prestataires et leur agente ou leur agent. 

Centres d’appels surchargés

Le personnel en place pour offrir des services de proximité dans les bureaux du MTESS a fondu comme neige au soleil. Comme il est généralement impossible pour les citoyennes et les citoyens d’obtenir des réponses à leurs questions sur place, ils doivent obligatoirement passer par le centre d’appels, qui est surchargé. Le ministère, insensible au phénomène de l’exclusion numérique qui touche un grand nombre de personnes en situation de pauvreté, développe des services en ligne tout en réduisant l’accès aux services en personne. Prochaine étape: les prestataires d’aide sociale n’auront bientôt plus d’agente ou d’agent attitré à leur dossier. 

En effet, une transformation «administrative» d’envergure est en préparation. Obsédé par la réduction des effectifs et des coûts, le ministère s’est laissé séduire par une solution technologique qui mise entre autres sur l’automatisation du traitement des dossiers. À terme, les prestataires et le personnel du MTESS seront traités comme des numéros interchangeables dans un système complètement déshumanisé de «gestion partagée» des dossiers d’aide financière. 

Pas de consultation

Ni les organismes qui défendent les droits des prestataires, ni les fonctionnaires du MTESS n’ont été consultés sur cette réforme importante, pilotée par des développeurs informatiques. Elle va exactement à l’inverse des besoins et des demandes exprimées sur le terrain en matière d’accès aux services. Dans leur relation avec l’État, les personnes bénéficiaires de l’aide sociale souhaitent avant tout pouvoir parler à l’agent ou l’agente responsable de leur dossier, lui décrire leur situation de vive voix et recevoir de sa part des explications claires. 

De leur côté, les agentes et les agents savent très bien que le nouveau mode de fonctionnement risque d’engendrer une multiplication des erreurs dans le traitement des dossiers, comme des expériences ailleurs dans la fonction publique l’ont bien montré. La spirale de la déshumanisation des services, nous l’observons depuis des années à l’aide sociale, mais elle risque d’atteindre un sommet inégalé dans les mois à venir avec cette réforme. 

Combien de personnes abandonnent leurs démarches en raison des obstacles administratifs, bureaucratiques ou technologiques? Combien se retrouvent dans une situation encore plus précaire ou carrément à la rue faute d’avoir été accueillies et accompagnées avec humanité au sein des services publics? Il est temps que le MTESS retrouve ses repères. 

D’une même voix, les agentes et agents d’aide du MTESS, les groupes de défense des droits des personnes assistées sociales et leurs allié(es) dénoncent la déshumanisation des services publics et réclament un changement de cap.

Publié le 17 juin 2022