La condamnation à la prison à vie de Gilles Brassard, cette semaine, pour le meurtre de sa femme, dit « par compassion », expose de nouveau la détresse psychologique des proches aidants. S’il persiste un tabou autour des idées d’homicide que suscite la personne soignée, il est essentiel d’en parler pour prévenir de tels drames, martèlent des intervenants du milieu.
Aidant naturel pendant des années, Gilles Brassard a tenté de se suicider après avoir tué sa femme atteinte d’Alzheimer en septembre 2023.
Je n’ai pas fait ça par haine, j’ai fait ça par amour et par grande compassion. Je la voyais tellement diminuée et que le pire était à venir, je me suis dit : « on en a assez fait, on va laisser la place et aller dans un monde meilleur », a déclaré l’octogénaire lors d’une mêlée de presse au palais de justice de Laval, où il a été condamné cette semaine à la prison à vie sans possibilité de libération avant 10 ans et demi.
Son procès remet en lumière la grande détresse psychologique de bien des proches aidants. Une détresse qui est d’ailleurs évoquée dans le jugement.
Cette histoire est d’une tristesse incommensurable. Un homme de 80 ans qui tente du mieux qu’il peut d’apporter les soins nécessaires à sa conjointe de vie de 53 ans. Une histoire d’amour qui se termine par un drame.
Une citation de Extrait du jugement
Un tabou persiste toutefois concernant les idées d’homicide que les proches aidants peuvent parfois avoir, selon Alexander Moreno, psychologue et directeur du Laboratoire innovation, technologie et cognition de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
Des idées sombres peuvent prendre plusieurs formes.
La personne peut souhaiter de façon un peu implicite que la personne malade ne soit plus là afin que son fardeau disparaisse, souligne M. Moreno. Mais c’est mêlé d’un fort sentiment de culpabilité, précise-t-il.
Selon lui, un proche aidant doit en premier prendre soin de lui-même avant de prendre soin de quelqu’un d’autre. Cela passe notamment par le fait d’être capable de nommer ses émotions, pour être capable ensuite d’aller chercher de l’aide.
Un avis que partage Nathalie Deziel, directrice du Regroupement des aidantes et aidants naturels de Montréal.
C’est souvent difficile d’exprimer une détresse quand on est en relation d’aide, et particulièrement quand c’est dans une relation filiale avec un mari, une femme, un parent ou un enfant. C’est comme si, parce que quand on est dans une relation filiale d’amour ou de bien-être de la personne, on a un peu un malaise à vivre cette écœurantite ou ce moment où on n’en peut plus.
Selon Mm Deziel, il ne faut pas avoir peur de faire part de ses pensées, même les plus sombres, à des organismes d’aide comme le sien.
À moins qu’il y ait un danger imminent, la personne est dans un lien de confidentialité avec un psychologue ou un intervenant, donc il ne faut pas avoir peur de parler de ces pensées, qui peuvent être envahissantes par moment, pour justement ne pas les garder en soi et finalement décider de passer à l’acte.
Une citation de Nathalie Deziel, directrice du Regroupement des aidantes et aidants naturels de Montréal
En plus de l’écoute, les groupes de soutien aux proches aidants offrent la possibilité de participer à des groupes d’entraide ou de discussion, de bénéficier d’heures de répit ou de repas déjà préparés, même de billets pour des sorties culturelles afin de décompresser.
Une carte interactive permet de trouver les organismes actifs dans sa région.
« Si on n’agit pas maintenant, il va être trop tard »
Les organismes d’aide dénoncent aussi un manque important de ressources qui dure depuis trop longtemps.
On invite le gouvernement à considérer l’importance de soutenir les personnes proches aidantes à travers le financement de répit, plus d’heures de services à domicile, ou au travers du soutien financier au milieu communautaire qui permettrait de développer une plus grande offre de services ou de l’améliorer, souligne Loriane Estienne, directrice générale de Proche aidance Québec, qui chapeaute 124 organismes dans la province.
Avec le vieillissement de la population, il y aura de plus en plus de personnes proches aidantes au Québec, et si on n’agit pas maintenant, ça va être trop tard, souligne Mme Estienne, qui espère que le nouveau plan d’action québécois attendu pour 2026 disposera d’un financement suffisant.
Selon un rapport récent de la Chaire Jacques-Parizeau en politiques économiques, le statu quo n’est pas une option viable en matière de soutien à domicile, étant donné que d’ici 2040, le nombre de personnes de plus de 75 ans augmentera de 79 % au Québec.
Pour réduire la pression sur les ressources humaines et d’hébergement du secteur public, un changement de cap et des gestes importants doivent être posés rapidement, notamment par l’ajout annuel et cumulatif de 400 millions de dollars dans les services à domicile, mentionne l’étude.
En triplant l’enveloppe annuelle dédiée aux soins de santé à domicile d’ici 2040, cela permettrait d’éviter la construction de 25 000 places en CHSLD et d’embaucher 21 000 infirmières, conclut le rapport.
Avec des informations d’Audrey Neveu
Si vous ou l’un de vos proches êtes en détresse, voici les ressources qui s’offrent à vous :
Appelez sans frais le 1 866 APPELLE [277-3553].
Si vous ou un proche êtes en danger immédiat, composez le 911.
Vous pouvez aussi texter un intervenant au 535353 : ce service confidentiel de clavardage est offert sept jours sur sept, jour et nuit.
Au Québec et au Canada, le 1 888 LE DEUIL [533-3845] est une ligne d’écoute téléphonique pour personnes ayant perdu un être cher.
Appelez ou textez le 988 : cette ligne d’aide est ouverte sept jours sur sept, jour et nuit.
Pour les personnes endeuillées par un suicide, l’AQPS a créé un espace d’échange et de témoignage en ligne accessible au deuilparsuicide.ca.
Pour plus d’information : suicide.ca