Des milliers de Québécois vivront un refus collectif, cette semaine. Après avoir bien fêté, l’heure est au grand ménage et au détour à l’épicerie, afin d’y déposer les cannettes vides et les bouteilles consignées. Au grand dam de plusieurs, la «gobeuse» refusera, sans qu’on sache trop pourquoi, de nombreux contenants.
Dans l’incompréhension et par dépit, on abdique et on se tourne vers la poubelle ou le bac de recyclage le plus proche. La cannette est pourtant frappée de la mention «Consigné Québec 5 cents». «Pourquoi la machine ne prend pas ma cannette?», se demande un consommateur de passage dans une épicerie de Gatineau.
RECYC-QUÉBEC évoque deux causes de rejet d’une cannette par une gobeuse. «Soit le contenant n’a pas été soumis à l’approbation de RECYC-QUÉBEC ou n’a pas été approuvé, soit la mise à jour des machines n’a pas été faite correctement par certains marchands», affirme sa directrice des communications, Brigitte Geoffroy.
De leur côté, les responsables de l’industrie pointent du doigt trois grands «coupables»: la multiplication incessante de nouveaux produits, la pénurie de main-d’œuvre et un système de consigne dépassé, digne des années 1980.
Selon le directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA) Stéphane Lacasse, les «gobeuses» engloutissent beaucoup d’énergie chez les marchands d’alimentation, qui agissent comme intermédiaires entre les consommateurs et les recycleurs.
«Lorsqu’il y a un nouveau produit, comme une nouvelle bière de microbrasserie, son code doit être envoyé à RECYC-QUÉBEC pour le rajouter dans la liste des codes pour gobeuses. Si la gobeuse n’est pas branchée sur Internet, ça doit être entré manuellement par un employé. Et avec la pénurie de main-d’œuvre, on illustre le problème de la façon suivante: on demande à son employé de couper du jambon, ou on lui demande de s’occuper de la machine.»
« C’est évident que le marchand doit s’occuper avant tout de sa mission de vendre de la nourriture aux gens. Le remboursement des consignes et le stockage, en magasin, prend du temps et de l’espace. » — Stéphane Lacasse, de l’Association des détaillants en alimentation du Québec
La propriétaire du IGA Grenier-Fortin, sur le boulevard des Grives, à Gatineau, abonde dans le même sens. «C’est un rêve de voir partir ces machines-là!», lance Diane Grenier. Au début janvier de chaque année, les arrière-boutiques des marchés d’alimentation comme le sien sont saturées de caisses de bière et de sacs de canettes consignées.
Mme Grenier, comme bien d’autres propriétaires de la province, surveille de près les sept projets-pilotes de RECYC-QUÉBEC visant à «désengorger» le système.
L’un d’eux, à Trois-Rivières, fait valoir les capacités de travail des jeunes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. Ces derniers classent adéquatement les contenants en un seul endroit du secteur Cap-de-la-Madeleine, libérant ainsi les commerçants locaux de la gestion des gobeuses et de l’entreposage des contenants dans leurs locaux.
Consigne élargie
Le système actuel a été mis en place en 1984. Le marché était plus homogène, et les canettes, fort semblables d’une région à l’autre.
Le Québec se prépare à élargir la «palette» des contenants consignés en 2022. En décembre prochain, les contenants de boisson de 100 millilitres à 2 litres, en plastique, en verre ou en métal seront consignés.
L’Ontario a déjà un système de consigne élargi des bouteilles en verre ou en plastique, des «Tetra Pak», des contenants de carton et des canettes en acier ou en aluminium vendus à la LCBO, dans les Beer Store, dans des établissements vinicoles ainsi que dans des magasins au détail de brasseries et de distilleries.
Selon l’ADA, le Québec n’est pas prêt à avoir un système semblable à la fin de 2022.
«Imaginez avec la consigne élargie, dit Stéphane Lacasse, de l’ADA. Ça va être l’enfer. Ça prend des sites dédiés. On va les mettre où, les bouteilles de vin? Les eaux gazeuses, les Tetra Pack»? Ça prend des sites automatisés, dans des secteurs commerciaux de chaque ville, chaque région. Ces sites doivent être près des grands centres, des sites commerciaux avec un endroit accessible pour récupérer les consignes. Selon nous, il est plus réaliste de prévoir un échéancier allant jusqu’à 2024-25. Le prochain système doit durer au moins 20 ans. C’est un très gros chantier.»
Deux milliards de contenants consignés sont vendus en une année au Québec. De ce nombre, 1,6 milliard est retourné en consigne. Le reste, 400 millions (30%), est envoyé au bac à recyclage.
«Avec les prochaines consignes, ajoute M. Lacasse, on va être à 5 milliards de contenants consignés par année. Ça va être énorme. Le système doit être prêt à gérer ça. C’est un grand chantier comme un grand projet de construction.»
Par ailleurs, les commerçants ont encore le droit de refuser un contenant consigné qu’ils ne vendent pas. «La Loi actuelle dit: ‘On prend ce qu’on vend’, rappelle M. Lacasse. Lorsqu’on prend ces contenants, c’est pour accommoder le client.»
Projets pilotes entamés en août 2021
Trois-Rivières (Cap-de-la-Madeleine)
Dépôt inter-détaillants avec peu d’équipements modernes et impliquant la main-d’œuvre d’un organisme local dans une zone semi-urbaine.
Granby
Centre de dépôt dans le stationnement du détaillant avec des équipements de récupération modernes et la possibilité d’offrir le service pour les hôtels, les bars et les restaurants, dans une zone semi-urbaine.
Mont-Laurier
Dépôt avec peu d’équipements modernes et impliquant la main-d’œuvre d’un organisme local et la possibilité d’offrir le service pour les hôtels, les bars et les restaurants en zone semi-urbaine d’une région éloignée.
Châteauguay
Conteneur dans un stationnement entre un détaillant et une SAQ avec des équipements de récupération modernes à l’intérieur (fonctionne en autonomie sans présence humaine) dans une zone semi-urbaine.
Terrebonne (Lachenaie)
Conteneur adjacent à une SAQ avec des équipements de récupération modernes dans une zone semi-urbaine. Fonctionne pendant les heures d’ouverture de la succursale.
Montréal (Ahuntsic-Cartierville)
Équipements de récupération modernes à l’intérieur d’un grand commerce de détail en alimentation dans une zone urbaine densément peuplée.
Montréal (Ville-Marie)
Dépôt dans une zone urbaine densément peuplée avec peu d’équipements modernes et impliquant la main-d’œuvre d’un organisme local offrant le service à la clientèle de la Coopérative Les Valoristes, une entreprise d’économie sociale œuvrant dans la récupération de matières consignées.