Près de 9000 unités: c’est le nombre de logements sociaux dont la construction a été annoncée – et le financement confirmé – par les différents gouvernements provinciaux au cours des 25 années et qui n’ont toujours pas vu le jour. Comment expliquer de tels retards de livraison, alors que 37 000 personnes attendent pour une habitation à loyer modique (HLM) dans la province? C’est ce qu’on a voulu savoir.
Même si la construction d’un certain nombre de logements sociaux est prévue noir sur blanc dans le budget du gouvernement du Québec chaque année, le 24 heures a constaté qu’un retard s’accumule dans la livraison de ces unités depuis la création du programme AccèsLogis, en 1997. C’est cet organisme qui chapeaute la réalisation des projets de logements sociaux avec l’argent alloué par les gouvernements fédéral et provincial.
Sur les 45 133 logements budgétés depuis 1997, seulement 36 176 avaient été livrés en date du 30 juin 2022, selon les calculs du 24 heures qui ont été confirmés par la Société d’habitation du Québec (SHQ). C’est donc dire qu’il manque 25% des logements sociaux promis depuis 25 ans. De ce nombre, 6400 logements sont en voie de réalisation.
En raison de ces retards accumulés, il est d’ailleurs impossible d’accélérer la construction des logements sociaux et d’accroître l’offre.
De nombreux locataires ont d’ailleurs témoigné au printemps dernier attendre depuis déjà une décennie pour leur logement subventionné. En février dernier, le 24 heures rapportait d’ailleurs le cas de Caroline Doucet qui devra attendre encore possiblement 14 ans pour avoir son HLM.
L’argent n’arrive pas aux promoteurs
L’augmentation des coûts des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre ont fait exploser les budgets prévus, ce qui explique en partie le retard de 9000 logements, estime le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche.
Pour le dire autrement, les logements coûtent de plus en plus cher à construire, ce qui fait que le gouvernement n’a pas les moyens d’en construire autant que ce qui avait été annoncé par le passé.
La porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme, évoque elle aussi l’augmentation des coûts de construction pour expliquer les retards de livraison.
«Le programme n’était pas indexé automatiquement. Les coûts augmentent et ainsi ça peut devenir plus compliqué [de construire les unités]», explique-t-elle.
L’augmentation des coûts n’est toutefois pas le seul frein à la construction de logements sociaux: à cause de lourdeurs bureaucratiques, certains promoteurs ont du mal à toucher aux subventions auxquelles ils ont droit pour lancer leurs chantiers, déplore Jean-Philippe Meloche.
«Les programmes [comme AccèsLogis] sont très très lents à répondre. J’ai entendu plusieurs fois des promoteurs, qui sont prêts à mettre les ressources, attendre après l’argent», avance-t-il.
La SHQ n’a pas souhaité fournir au 24 heures ses explications en ce qui concerne les retards accumulés.
Rattraper le retard accumulé: une promesse brisée
Lors de son élection, en 2018, la Coalition Avenir Québec (CAQ) avait promis de rattraper le retard, qui était de 15 000 logements sociaux à l’époque. En quatre ans, le parti de François Legault en aura finalement construit que 6000. Il manque donc encore 9000 unités au Québec.
En août dernier, la CAQ a promis d’en construire 11 700 si elle est réélue le 3 octobre.
Véronique Laflamme du FRAPRU déplore le manque d’ambition de la CAQ, alors qu’il manque déjà 9000 unités.
Québec solidaire (QS) promet pour sa part 50 000 logements écoénergétiques dans un premier et deuxième mandat, alors que le Parti libéral du Québec (PLQ) en promet le même nombre, mais dans un délai de 10 ans.
Le Parti Québécois (PQ) s’engage quant à lui à augmenter la contribution du gouvernement provincial pour la construction de logements sociaux, tandis que le Parti conservateur du Québec (PCQ) ne planifie pas subventionner davantage de logements sociaux.
Des investissements ambitieux nécessaires
Pour accroître l’offre de logements sociaux au cours des prochaines années, le gouvernement du Québec devra être prêt à investir bien plus d’argent, affirme Jean-Philippe Meloche.
«Si on veut du logement social, le gouvernement doit payer plus. On construit au prix du marché, en plus de subventionner le gestionnaire de l’immeuble pour maintenir un bas loyer», soutient-il.
Lors du Sommet sur l’habitation, qui s’est tenu à Laval le 26 août dernier, des élus et des spécialistes de l’habitation ont d’ailleurs demandé plus d’argent à Québec pour le logement. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a elle aussi souvent réclamé une aide additionnelle de la part de Québec et d’Ottawa.
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Quelle est la différence entre un logement social et un logement abordable?
Les logements sociaux sont subventionnés par le gouvernement et permettent de loger des personnes à faibles revenus grâce à des loyers en deçà des prix du marché. Les logements sociaux comprennent les habitations à loyer modique (HLM), les coopératives d’habitation (COOP) et les organismes sans but lucratif (OSBL) d’habitation. Un logement abordable est un terme plus vaste qui regroupe les secteurs public et privé. Règle générale, on parle d’un logement abordable lorsque le loyer n’excède pas 30% du revenu brut.
Source: FRAPRU