Privatisation du soutien à domicile : réduire les coûts, mais à quel prix?

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Alors que les consultations sur la future politique nationale de soutien à domicile (SAD) sont en cours, on apprend que la ministre responsable des Aîné·e·s, Sonia Bélanger, accueille favorablement les propositions des entreprises privées de soins à domicile, qui souhaitent jouer un rôle accru dans ce secteur. L’argument de vente principal de ces entreprises est d’être en mesure de fournir des services pour la moitié du coût de ceux offerts par les employé·e·s du réseau public. Or, les expériences québécoises et internationales démontrent clairement que la privatisation du SAD peut générer des économies à court terme, mais que cette stratégie coûte éventuellement très cher, tant sur le plan humain que financier.

Au Québec, la privatisation des services à domicile est loin d’être un phénomène nouveau. Amorcée dès les années 1980, elle s’est accélérée suite aux réformes imposées au système de santé en 2005 et 2015. En 2023-2024, moins de 13 % des heures d’aide à domicile de longue durée ont été données par des employé·e·s du réseau public. Les conséquences désastreuses de ces choix gestionnaires sont donc bien connues, et elles sont de deux ordres.

Tout d’abord, des études menées au Québec et ailleurs dans le monde montrent que la privatisation du SAD a pour effet de détériorer les conditions de travail des soignant·e·s ainsi que la qualité des services offerts, ces deux aspects étant étroitement liés. En effet, la capacité des entreprises privées, y compris celles d’économie sociale, à fournir des services à un coût moindre que le secteur public découle directement des salaires largement inférieurs consentis à leurs employé·e·s. Or, ces conditions de travail réduites s’accompagnent également d’exigences beaucoup moins élevées sur le plan de la formation. 

À titre d’exemple, historiquement au Québec, les établissements publics ont eu tendance à exiger de leurs employé·e·s en aide à domicile des diplômes d’études professionnelles variant entre 700 et 1000 heures de formation, alors que les fournisseurs privés (entreprises à but lucratif et entreprises d’économie sociale) n’exigent parfois qu’une formation d’une trentaine d’heures. De plus, l’externalisation vers le secteur privé produit du roulement de personnel, un manque de continuité des services et une absence d’intégration des soignant·e·s au sein des équipes multidisciplinaires du réseau public, ce qui nuit également à la qualité des services et réduit la capacité du SAD à jouer un rôle dans la prévention des hospitalisations et des consultations à l’urgence, qui sont beaucoup plus coûteuses que des soins à domicile de qualité.

Ensuite, le cas des agences privées de placement de personnel nous apprend que même en adoptant une perspective strictement comptable et en mettant de côté le coût humain de la privatisation des services, il n’est pas avantageux financièrement de sous-traiter le SAD sur le long terme. Alors que le recours aux agences en aide à domicile visait précisément à réduire les coûts du réseau public, les économies réalisées se sont progressivement amoindries et, en 2023-2024, la « main-d’œuvre indépendante » coûtait désormais 6,50 $ de plus que les employé·e·s du réseau public pour chaque heure travaillée en aide à domicile, pour un surcoût annuel total de 55 millions de dollars dans l’ensemble du SAD.

Cette évolution s’explique par la dépendance structurelle croissante du réseau public à l’égard de ces entreprises. À partir du moment où elles deviennent incontournables dans la prestation de services essentiels pour la population, elles ont beau jeu d’augmenter leurs tarifs. En clair, marchandiser les soins implique de soumettre leurs prix aux mécanismes du marché et à l’impératif de profitabilité des entreprises privées, dont la nature même est d’augmenter les prix autant que la demande le permet.

D’ailleurs, le gouvernement reconnaît lui-même ces problèmes puisqu’il tente depuis la pandémie de sevrer le système de santé des agences, notamment en raison des coûts importants que le recours à ces entreprises représente pour les établissements publics. Transférer les heures de services actuellement fournies par des agences à d’autres entreprises privées reviendrait à répéter les erreurs du passé que l’on tente aujourd’hui de réparer.

Heureusement, de vraies solutions existent. Dans une étude publiée récemment, l’IRIS propose un modèle de SAD pour le Québec qui réintègre la prestation des services au sein du réseau public. Notre analyse montre qu’un tel plan est financièrement réaliste, et qu’il permettrait de réussir enfin le virage vers le SAD, sans faire de compromis sur la qualité des services.

Publié le 12 février 2025
Par Anne Plourde