Plus d’un millier de piétons et de cyclistes ont été tués ou gravement blessés dans une collision avec un véhicule entre 2012 et 2020 à Montréal. Parmi ces accidents, plus des deux tiers sont survenus à une intersection, révèle une analyse de quelque 200 000 événements par Le Devoir.
Les artères ayant un fort débit de circulation comptent plus d’usagers, ce qui augmente nécessairement les risques de collision. Mais l’aménagement du territoire pourrait aussi être en cause.
La Ville de Montréal s’est d’ailleurs dotée de l’approche Vision zéro, qui a pour ambition d’éradiquer tous les morts et blessés graves sur ses routes d’ici 2040. Découvrez six des intersections les plus dangereuses de la métropole pour les piétons et les cyclistes ou naviguez par vous-mêmes dans notre carte interactive.
Le vélo gagne en popularité dans la métropole, et ce particulièrement depuis la mise en place du Réseau express vélo, un projet de voie cyclable de 184 km lancé par l’administration de Valérie Plante en 2019. Son but : permettre aux citoyens de se déplacer de façon efficace, sécuritaire et agréable. Il comporte toutefois toujours plusieurs angles morts.
C’est le cas du croisement entre les rues Frontenac et Notre-Dame, où aucune mesure de sécurisation n’a été réalisée. Pourtant, on y compte trois accidents graves ou mortels entre un vélo et une voiture de 2012 à 2020.
La piste cyclable qui longe Notre-Dame est très agréable pour les cyclistes; elle se faufile entre les arbres, sur du gazon, bien loin des voitures. Mais c’est aux intersections que le bât blesse. Quand un automobiliste tourne de Notre-Dame vers le nord, il doit faire attention pour éviter certains obstacles.
D’abord, le conducteur doit être attentif aux piétons qui marchent sur le trottoir, du côté nord, et qui arrivent des deux directions (est et ouest). Il doit aussi s’assurer que la voie est libre sur la piste cyclable, qui est à double sens. En plus, les cyclistes ne se déplacent pas à la même vitesse que les piétons et sont parfois cachés derrière les arbres entre les intersections.
La Ville assure que des travaux de sécurisation seront intégrés au projet de réaménagement de la rue Notre-Dame, de concert avec le passage du Réseau express métropolitain (REM) de l’Est, dont la réalisation doit débuter en 2023.
La voie cyclable de Saint-Urbain a elle aussi été le théâtre de plusieurs accidents ces huit dernières années. Le tronçon situé entre De Maisonneuve et Sainte-Catherine, particulièrement problématique, en compte trois.
La rue Saint-Urbain est une artère à sens unique vers le sud qui comporte un très haut volume de passagers — automobilistes comme cyclistes — ainsi qu’une bande cyclable unidirectionnelle non protégée à l’extrême droite de la chaussée.
Cette voie cyclable n’est plus à la hauteur des standards qu’on aurait aujourd’hui pour des voies cyclables compte tenu du débit et de la vitesse de circulation sur cet axe-là. Une marque au sol, c’est nettement insuffisant.
Magali Bebronne, Vélo Québec
On trouve d’ailleurs sur ce tronçon de Saint-Urbain une succession rapide de deux virages à droite, à l’angle de l’avenue Président Kennedy (Ontario du côté est de la rue) puis De Maisonneuve.
Dans ce contexte, une collision avec un cycliste (appelée en anglais right hook) est particulièrement dangereuse pour les cyclistes, qui se trouvent souvent dans l’angle mort des conducteurs. Cette intersection sera d’ailleurs à l’étude pour un projet de sécurisation au cours du prochain mandat du comité exécutif, selon l’ancien responsable des dossiers de mobilité, Éric Alan Caldwell.
L’axe Peel était auparavant un «no man’s land» de pistes cyclables sur les axes nord-sud sur 5 km, selon Magali Bebronne. Au niveau de Saint-Antoine, les voitures qui se dirigent vers l’A-720 augmentent souvent leur vitesse en prévision de leur entrée sur l’autoroute. On compte sur ce coin de rue trois collisions graves et mortelles de 2012 à 2020.
Ces trois collisions sont survenues en 2014 et en 2017. Mais à compter de cette année, elles ne devraient plus se produire, selon Magali Bebronne. «Une piste cyclable y est actuellement construite et c’est le nec plus ultra du point de vue de la sécurité.»
Cette nouvelle voie cyclable est large et protège ses usagers des voitures en étant plus élevée que la chaussée, à mi-niveau avec le trottoir. Les piétons et les cyclistes bénéficient aussi d’une phase réservée au feu de circulation, ce qui interdit le virage des voitures pendant les premières secondes.
On y trouve aussi des îlots aux intersections, des terre-pleins qui empêchent les véhicules de faire des virages rapides, les obligeant à ralentir et donc à être plus attentifs. «C’est vraiment un élément d’apaisement de la circulation», affirme Magali Bebronne.
Photo: Valerian Mazataud Le Devoir Piétons
Malgré l’abondance de trottoirs, Montréal demeure relativement hostile aux piétons, selon Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec. «Les intersections ciblées ne sont que la pointe de l’iceberg; on pourrait ajouter toute une liste d’autres intersections qui ont des caractéristiques similaires, mais qui n’ont pas de récurrence de collisions.»
Le facteur le plus récurrent, c’est la vitesse élevée de 50 kilomètres-heure sur les artères, explique-t-elle. «Un piéton happé à 50 km/h a 75 % de risques de mourir, alors qu’ils diminuent à 10 % à 30 km/h.»
Avec leurs quatre voies dans chaque sens, les boulevards de l’Acadie et Henri-Bourassa permettent aux voitures de rouler vite, bien au-delà de la limite de 50 km/h autorisée. Trois collisions avec des piétons sont survenues à cette intersection au cours des huit dernières années.
Cette intersection comporte trois bretelles de virage à droite (aussi nommées voies divergentes) où les automobilistes n’ont pas trop à ralentir comme à un feu de circulation. Ils voient ainsi plus difficilement les piétons.
Il y a énormément d’arrêts d’autobus aussi, ce qui entraîne de nombreux piétons sur ces artères, dont certains qui sont pressés de ne pas manquer leur autobus. La construction d’un métrobus sur Henri-Bourassa permettra selon la Ville de revoir la configuration du boulevard, dont cette intersection majeure.
Les voies de virage, c’est une plaie, c’est rire de la sécurité des piétons. Il n’y a que du marquage jaune par terre et une petite pancarte. Il n’y a aucune chance qu’une voiture s’arrête à cet endroit-là.
Marie-Soleil Cloutier, directrice du Laboratoire Piétons et Espace urbain de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS)
L’avenue du Parc a tristement fait les manchettes ces dernières années à cause des collisions entre véhicules lourds et cyclistes. Ce sont pourtant les piétons qui ont le plus fait les frais de son aménagement, particulièrement entre Saint-Joseph et Fairmount, soit cinq collisions en huit ans.
L’artère est composée de cinq voies, dont une au centre qui change de direction selon l’heure du jour. « C’est un axe important pour se rendre au centre-ville », rappelle Marie-Soleil Cloutier. On y trouve ainsi de nombreux camions et des automobilistes qui roulent vite.
C’est aussi une artère commerciale, dans un quartier résidentiel de surcroît, ce qui augmente le volume de piétons. Il y a, en plus, six lignes d’autobus qui s’y croisent. Des piétons partent donc parfois à la course ou traversent de façon dangereuse pour tenter de l’attraper.
Après la mort du cycliste Andrea Rovere en septembre, Projet Montréal a d’ailleurs promis de s’attaquer à cet axe au cours du présent mandat. «Nous souhaitons y intégrer un axe structurant de transport collectif, présentement à l’étude par la STM, explique Éric Alan Caldwell. Ce sera l’occasion de revoir les intersections et la part qu’occupe chaque mode de transport sur cet axe.»
À l’instar de l’avenue du Parc, la rue Saint-Denis est elle aussi une artère à grand volume d’usagers, tous modes de transport confondus. La différence, du point de vue de la sécurité, réside toutefois dans son aménagement. Après qu’une quinzaine d’accidents sont survenus de 2012 à 2019, principalement avec des piétons, la Ville y a instauré le Réseau express vélo.
Le REV a retranché une voie de circulation dans chaque direction, diminuant les risques de collision. Le phasage des feux de circulation a aussi été modifié, en permettant dans un premier temps seulement aux piétons et aux cyclistes de traverser. Ils doivent ensuite s’arrêter pour permettre le virage des véhicules.
Les intersections étant très éloignées les unes des autres sur Saint-Denis, les gens traversent fréquemment à mi-chemin pour éviter de faire un détour de 500 mètres. La Ville a ainsi ajouté des passages pour piétons désignés.
Même si les cyclistes sont plus souvent sous le feu des projecteurs, Montréal compte davantage de victimes de collisions parmi ses piétons. Ils sont en moyenne 16 par année à perdre la vie à la suite d’une collision avec un véhicule, selon une analyse du Devoir, un nombre qui a culminé en 2019 avec 24 morts.