Quand une IA imite la nature pour mieux réparer les os

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Des chercheurs ont imaginé un matériau biomimétique synthétique conçu par un programme d’intelligence artificielle qui pourrait, à l’aide de l’impression 3D, combler de façon optimale d’importants manques osseux.

Les fulgurants progrès de l’intelligence artificielle peuvent-ils contribuer à mieux réparer les os ? C’est la conviction d’une équipe scientifique de l’université Urbana-Champaign (Illinois). Depuis plus d’une dizaine d’années, des matériaux biomimétiques tel le Trabecular Metal (société Zimmer Biomet), mimant l’aspect spongieux de l’os trabéculaire, présent notamment aux extrémités des os longs, sont utilisés pour la mise en place de prothèses de hanche ou de genou. Les chercheurs d’Urbana-Champaign (Nature Communications) ambitionnent, eux, d’utiliser un algorithme d’apprentissage automatique (IA) pour s’approcher encore plus du modèle naturel de l’os. « Nous produisons virtuellement un matériau dont les microstructures désordonnées [des microblocs imprimés par imprimante 3D] s’imbriquent en s’adaptant aux contraintes mécaniques [des forces au niveau de l’os]. Le tout facilite le soutien des tissus pour la restauration orthopédique » explique Shelly Zhang, directrice de l’étude et professeure de génie civil et environnemental.

Pour atteindre ce résultat, ces chercheurs se sont inspirés d’une précédente étude (Science, août 2022) sur les tout aussi surprenantes que solides architectures poreuses des termitières géantes. « Ces travaux précurseurs permettaient de concevoir des matériaux irréguliers avec des propriétés matérielles constantes. Dans notre travail, nous faisons progresser ce concept en permettant la création d’un matériau dont les propriétés de résistance, optimisées, varient dans l’espace », poursuit Shelly Zhang. Les auteurs illustrent leur recherche par une application théorique sur un tibia, mais reconnaissent qu’ils doivent maintenant se rapprocher d’équipes médicales pour affiner les possibilités d’applications du modèle informatique.

De Grenoble, la directrice de l’unité Bio Santé (Inserm-CEA-UGA-CNRS), Catherine Picart, estime d’un grand intérêt ces travaux alors que son propre laboratoire expérimente, à l’aide d’une imprimante 3D, la réalisation d’échafaudages bio-inspirés recouverts d’une substance polymère afin que l’os puisse s’autoréparer. « Leur approche de modélisation informatique permet d’analyser certains paramètres tels des effets d’architecture ou des contraintes aux interfaces, ce qui est très intéressant pour optimiser un matériau, observe-t-elle. Cependant, c’est un modèle informatique et nous sommes dans des conditions virtuelles, donc idéales. La question reste maintenant de savoir comment ils vont réellement créer ce matériau. »

Application pour les prothèses

A Nice, le chirurgien orthopédique Vincent Lavoué est ouvert à ce type de recherche : « Les matériaux biomimétiques proposés sur le marché utilisent déjà des imprimantes 3D pour concevoir des implants métalliques. C’est le sens de l’histoire d’utiliser des algorithmes d’apprentissage automatique pour les ajuster au mieux aux contraintes mécaniques et aux propriétés intrinsèques osseuses. » Pour ce spécialiste, ancien chirurgien à l’hôpital de Nice qui travaille désormais à la clinique Kantys-Centre, « cette approche est encore théorique, mais elle pourra être utile dans le cas de comblement de perte de substance osseuse importante ». « Plutôt qu’une prise en charge de fracture du fémur présentée dans l’article, elle trouvera sûrement sa place dans la chirurgie prothétique de hanche, de genou ou d’épaule », avance-t-il.

La professeure Elvire Servien, à l’hôpital de la Croix-Rousse (Lyon), ajoute que ce type de matériau pourra être pratique dans le cas de complications postfractures, notamment dans le cas d’infection ostéo-articulaire où des morceaux d’os doivent être enlevés. « Que ce soit dans le cas de reconstructions osseuse ou ostéoarticulaire, nous devons faire appel à des banques osseuses telles que l’OstéoBanque de Clermont-Ferrand ou celle de Bruxelles, précise-t-elle. Cependant, dans les deux cas, ces allogreffes ne sont pas fraîches et certaines propriétés osseuses des greffons, notamment mécaniques, ont pu être fortement altérées par le système de cryopréservation. »

Cheffe de service adjointe de chirurgie orthopédique et médecine du sport, Elvire Servien conclut que « si les propriétés biomécaniques du matériau imaginé par ces chercheurs sont au rendez-vous, cela pourrait devenir une solution beaucoup plus intéressante que les allogreffes, encore plus proche de l’anatomie du patient ».

Publié le 06 septembre 2024
Par Par Laure Belot et Victoria Denys