Au bout du fil, le courroux de Stéphane Thériault est perceptible: le directeur général du Conseil québécois des entreprises adaptées (CQEA) estime que la simple indexation de l’enveloppe du Programme de subventions aux entreprises adaptées (PSEA), dont le budget est de 122,3 millions $ pour 2023-2024, ne permettra pas la création de nouveaux emplois.
«Normalement, les entreprises ont la possibilité d’ouvrir des postes temporaires, notamment quand survient une possibilité de développement d’affaires ou un nouveau contrat. On a habituellement la flexibilité de pouvoir embaucher», explique M. Thériault.
«Malheureusement, dans la mouture du programme qui nous a été présentée pour la prochaine année, cette possibilité est rayée de la carte. Le programme est gelé, le programme est sur pause pour la prochaine année. Il n’y a aucune possibilité d’embauche pour les entreprises adaptées», martèle-t-il.
Cela s’explique entre autres par l’augmentation du salaire minimum, qui accapare une grande part des sommes allouées. Ce faisant, les opportunités de soutenir des entreprises dans l’accueil de travailleurs handicapés sont réduites, soutient le directeur.
Le PSEA paie l’équivalent du salaire minimum de chaque candidat, de même que certaines adaptations nécessaires à son intégration dans son milieu de travail, comme le réaménagement d’un bureau ou l’embauche d’un travailleur social ou d’un éducateur spécialisé. L’employeur débourse pour sa part la différence entre le salaire minimum et celui consenti à l’employé.
Déplafonnement
Trente-sept entreprises membres du CQEA emploient annuellement près de 3900 personnes avec divers handicaps.
M. Thériault souhaite le déplafonnement du PSEA, afin de «permettre à toutes les personnes handicapées du Québec d’obtenir un emploi, si elles le désirent, et ainsi donner une chance égale à tout le monde d’avoir accès à un emploi, ici, au Québec».
Du côté du cabinet de la ministre de l’Emploi, Kateri Champagne Jourdain, on assure avoir l’enjeu à cœur, mais on s’explique mal la réaction de M. Thériault.
«L’inclusion des personnes éloignées du marché du travail est une priorité de la ministre. […] En toute franchise, nous ne comprenons pas la sortie du CQEA. Pour notre gouvernement, c’est très clair qu’on souhaite continuer à soutenir les entreprises adaptées et les personnes en situation de handicap à intégrer le marché du travail», a fait savoir par courriel l’attachée de presse de la ministre, Bénédicte Trottier Lavoie.
Le PSEA a permis la création de 225 postes adaptés en quatre ans, soutient le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Du nombre, 46 % seraient vacants. «Malgré tout, le ministère continue de rendre les sommes disponibles afin de soutenir l’intégration en emploi des personnes handicapées», indique-t-on dans un communiqué.
M. Thériault explique ces vacances par le fait que ces sommes sont mal réparties entre les régions, car on ne tient pas compte des besoins réels observés sur le terrain. Cela «a pour effet pervers de limiter le nombre de postes à pourvoir». Ainsi, dans une région où le nombre d’emplois adaptés subventionnés est inférieur au nombre de candidats pouvant les occuper, ceux qui «n’auront pas la chance d’être au bon endroit au bon moment» se verront privés d’une opportunité leur permettant de devenir un citoyen actif.
Un citoyen avant un travailleur
Stephan Marcoux, fondateur et directeur de l’entreprise d’économie sociale et d’insertion socioprofessionnelle Pleins Rayons, croit pour sa part que la véritable intégration des travailleurs avec un handicap ne passe par nécessairement par les entreprises adaptées.
«Au contraire, c’est encore une forme de ségrégation que de les placer dans des milieux de travail où ils se ramassent tous ensemble, note l’entrepreneur de Cowansville. Il serait important que l’on commence à avoir une discussion honnête sur le rôle et de l’embauche des personnes en situation de handicap au Québec.»
Pleins Rayons offre actuellement 18 plateaux de travail en économie sociale pour de jeunes adultes trisomiques ou vivant avec une déficience intellectuelle.
En sept ans d’existence, l’organisation a réussi à placer 81 de ses protégés en emploi. L’expérience s’est avérée fructueuse pour 77 d’entre eux, qui occupent toujours leur poste aujourd’hui.
Le tout, sans le moindre financement gouvernemental, qui permettrait cependant à Pleins Rayons d’aider encore plus de futurs travailleurs et d’exporter sa formule au-delà des frontières de Brome-Missisquoi, indique M. Marcoux.
«La véritable inclusion, c’est d’offrir à ces gens-là une vraie formation en fonction de leurs rêves et de les placer dans une situation d’emploi qui se rapproche de leurs ambitions, relate-t-il. Tout au long du processus, on les accompagne, et on leur offre du soutien par la suite. Et ces personnes-là deviennent aussi des aidantes au lieu d’être seulement des aidées.»
C’est ainsi que ce bassin de candidats différents pourra trouver sa place et contribuer réellement à la société. «Ce que ces gens-là veulent, c’est vivre comme les autres, se sentir utiles, mentionne M. Marcoux. On peut-tu les considérer comme des citoyens? Déjà, avec un sens de la citoyenneté, tout devient possible.»
Un rapport du Vérificateur général déposé en novembre 2020 relevait un manque de leadership «pour assurer la coordination des services nécessaires à l’intégration en emploi des jeunes personnes handicapées, ce qui compromet la progression de certains jeunes vers le marché de l’emploi». La coordination des services entre les différents ministères impliqués était jugée «insuffisante» et nuisait à la cohérence des services offerts, dont certains n’étaient «pas clairement définis» et «rarement évalués».
Des statistiques compilées à partir des rapports annuels des entreprises adaptées indiquaient en outre que «moins de 4% des personnes handicapées admises en entreprise adaptée ont quitté leur emploi pour un emploi standard chaque année de 2006 à 2019».