Québec veut «débloquer» les lits des hôpitaux de la grande région de Montréal

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Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) veut réduire de façon draconienne, dans la grande région de Montréal, le nombre de patients qui ne requièrent pas de soins de courte durée, mais qui demeurent à l’hôpital faute de places en hébergement. Québec vise une baisse de 50 % d’ici le 5 novembre, a appris Le Devoir. Le gouvernement compte notamment sur les proches aidants pour atteindre cette cible.

Le MSSS détaille son plan d’action dans un document de 27 pages daté du 31 août dont Le Devoir a obtenu copie. Il y rapporte une hausse du nombre de patients hospitalisés en attente d’une place en CHSLD, en ressource intermédiaire ou en ressource de type familial. En date du 25 août, 18 % des lits disponibles dans les hôpitaux montréalais étaient occupés par des usagers ne nécessitant plus de soins de courte durée, indique le MSSS. Parmi ceux-ci, 38 % étaient en attente d’un hébergement.

Rappelons que ces patients « bloquent » des lits qui pourraient être occupés par des malades aux urgences ou des gens venant de subir une intervention chirurgicale.

Dans son plan d’action, le MSSS fixe trois cibles aux établissements de santé de Montréal, de la Rive-Nord et de la Rive-Sud.

D’abord, d’ici le 8 octobre, une réduction de 25 % du nombre de patients hospitalisés en attente d’hébergement par rapport à la période du 27 juillet au 25 août. Puis, d’ici le 5 novembre, une diminution de 50 % par rapport à cette même période de référence. Au 3 décembre, le MSSS souhaite qu’au maximum 20 % des usagers en attente d’hébergement occupent un lit de courte durée à l’hôpital.

Pour atteindre ces objectifs, le MSSS cite en exemple les stratégies adoptées par le CISSS de Lanaudière, qui est parvenu « à réduire considérablement le nombre d’usagers déclarés hébergés à partir de la courte durée » à l’hôpital « en prenant un virage modifiant considérablement [ses] pratiques ».

Dans cette région, les patients devant être admis en hébergement attendent leur place à domicile, et non à l’hôpital, indique le CISSS. Une équipe de gestionnaires est chargée de déterminer les ressources dont ils ont besoin.

« Une des stratégies consiste à faire des ententes avec les proches aidants à l’effet que leur proche sera hébergé d’ici 2-3 semaines, mais que, dans l’intervalle, leur collaboration est requise », est-il écrit dans le document. Lors de l’octroi des places en hébergement, les usagers à domicile « présentant des facteurs de risque majeurs » sont priorisés. « Plusieurs succès ont été observés en ce sens », précise-t-on.

Des cibles ambitieuses

Les cibles de réduction fixées par le MSSS apparaissent « ambitieuses » aux yeux de la Dre Chantal Vallée, cheffe du département de médecine spécialisée au CISSS de la Montérégie-Centre. « Ça va prendre des ressources en première ligne pour être capable de soutenir ces patients à domicile », signale toutefois la spécialiste en médecine interne, rappelant que le réseau de la santé fait face à une pénurie de personnel.

La Dre Vallée souligne qu’elle n’est pas contre le plan d’action du MSSS, loin de là. « Je pense que c’est correct d’avoir des cibles et de se dire qu’il faut renvoyer à domicile le plus possible nos patients. » Mais cette avenue n’est pas envisageable pour tous, note-t-elle. « Parfois, quand c’est la quatrième hospitalisation dans la même année, l’hébergement est comme la fin de course nécessaire à la sécurité et la santé du patient. »

Le Dr Hoang Duong, président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec, estime qu’il est « probablement mieux » que les patients attendent leur place d’hébergement à domicile plutôt qu’en centre hospitalier. « Mais encore faut-il que l’hôpital respecte ses engagements, c’est-à-dire que s’il promet aux patients, et surtout à leurs proches aidants, un soutien accru de soins à domicile, il faut qu’une fois à la maison, ces patients-là bénéficient de ces soins », affirme le médecin. Les familles sont « souvent au bout du rouleau », indique-t-il.

La Dre Sophie Zhang, coprésidente de la Communauté de pratique des médecins en CHSLD, espère que le retour à la maison d’usagers « fragiles » en attente de CHSLD ne sera pas précipité. « Ça n’aidera ni les patients ni le système de la santé s’ils se retrouvent aux urgences par la suite », dit-elle.

Selon elle, il est « plus réaliste » de transférer à domicile des patients en attente d’une ressource intermédiaire ou de type familial que des personnes qui « cotent pour un CHSLD » et dont la perte d’autonomie est sévère. Les établissements de santé devront aussi offrir des services à domicile aux familles qui s’occuperont de leurs proches et ne pas prolonger le séjour à la maison, estime-t-elle. « Il faudrait qu’on tienne notre promesse [que l’hébergement va être disponible dans] deux à trois semaines et que ça ne finisse pas par être le double, le triple de ça », dit-elle.

D’autres pistes

Dans son plan d’action, le MSSS évoque d’autres solutions possibles, comme de regrouper sur un même site les patients hospitalisés ne nécessitant plus de soins aigus. Il demande aussi aux établissements de santé d’assurer « un suivi sur la réouverture » des lits d’hébergement fermés. Le MSSS en dénombrait 637 à Montréal à la fin août, en raison de travaux et de manque de personnel.

Selon la Dre Zhang, rouvrir des lits en CHSLD est difficile dans le contexte actuel. « Pour moi, l’aspect le plus inquiétant, c’est qu’on n’a pas plus les ressources humaines qu’on avait avant et que même, dans certains endroits, c’est encore plus critique qu’avant la pandémie », affirme-t-elle. « Selon les centres, cela peut aller jusqu’à 40 % des postes vacants qui sont non pourvus. »

Le Devoir a contacté le MSSS afin d’avoir davantage d’informations sur ce plan d’action. Le ministère n’avait pas répondu à nos questions au moment d’écrire ces lignes.

Publié le 15 septembre 2022
Par Marie-Eve Cousineau