Sclérose en plaques : suivre les mouvements des yeux pour une meilleure prise en charge

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Comment déceler le plus tôt possible les troubles cognitifs parfois associés à la sclérose en plaques? En observant régulièrement les mouvements des yeux des personnes atteintes de cette maladie, répond Étienne De Villers-Sidani, neurologue à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal (Le Neuro).

C’est pour valider cette idée que le chercheur spécialiste de la cognition, qui a fondé l’entreprise Innodem Neurosciences, vient de lancer un essai clinique visant à suivre 120 patients sur 5 ans. Réalisé avec Novartis, cet essai évaluera l’efficacité d’une application sur tablette développée par l’équipe du Dr De Villers-Sidani et qui permet de repérer les anomalies des mouvements oculaires trahissant une atteinte cognitive.

Car pour l’instant, une telle atteinte peut facilement passer inaperçue. « Les neurologues n’ont pas les bons outils pour détecter tôt un problème de santé du cerveau, ni les outils pour faire le suivi approprié. Pourtant il existe des médicaments qui freinent la progression de la maladie », précise-t-il.

Pour que les patients puissent bénéficier de ces molécules le plus tôt possible, il est crucial de repérer les troubles cognitifs dès qu’ils apparaissent. « Le ralentissement, la fatigue cognitive, la perte de concentration sont parfois subtils et les médecins ne peuvent pas les détecter par résonance magnétique ni en examinant leurs patients. Or dans la sclérose en plaques, les mouvements oculaires sont affectés de manière très spécifique et sont un bon indicateur de cette atteinte », explique Étienne De Villers-Sidani. Comme la maladie se déclare chez des patients jeunes, entre 25 et 40 ans en moyenne, en pleine vie active, il est d’autant plus important de préserver au mieux leurs capacités cognitives.

Quel lien avec les yeux? Plusieurs études récentes ont montré que le degré d’anomalie des mouvements oculaires, dans le cadre de la sclérose en plaques, reflète la sévérité de l’atteinte globale, l’état de la capacité cognitive et le niveau de neurodégénérescence.

Grâce à sept tâches effectuées par le patient sur sa tablette, en une dizaine de minutes, le logiciel d’Innodem compile plus de 600 données, comme la rapidité des saccades oculaires, leur précision et le « parallélisme » des yeux. Il en extrait plusieurs marqueurs qui sont ensuite interprétés grâce à une intelligence artificielle. « On distingue les biomarqueurs des mouvements oculaires, comme la rapidité et la précision, qui permettent d’évaluer les aspects moteurs, régis par le tronc cérébral. Quant aux biomarqueurs de la cartographie du regard, qui sont associés à la façon dont une personne détaille son environnement et échantillonne ce qui l’entoure, ils sont révélateurs de certains aspects cognitifs », précise Étienne De Villers-Sidani.

En cas de détection d’une atteinte cognitive, le médecin et le patient auront toutes les cartes en main pour changer de traitement et essayer des molécules plus efficaces contre la forme progressive de la maladie. « Ces traitements sont aussi plus agressifs, donc ils ne peuvent pas être donnés d’emblée. Mais c’est important de les proposer au bon moment », indique le spécialiste.

Le patient, maître du suivi

Lors de la première phase de l’essai clinique, les patients s’auto-évalueront dans le confort de leur foyer une fois par semaine, pendant un an. Ensuite, le test sera effectué tous les six mois, toujours à la maison. « Avec la pandémie, on a réalisé que l’accès aux spécialistes est parfois difficile, surtout pour les personnes en zones rurales. Le but de cet outil est aussi que les gens puissent être davantage acteurs de leur prise en charge : s’autotester, c’est être plus autonome », explique le Dr De Villers-Sidani.

L’accessibilité aux soins est l’un des chevaux de bataille de la Société canadienne de la sclérose en plaques, qui souligne la pertinence de ce type d’outils (sans toutefois se prononcer sur la qualité de l’application encore expérimentale). « Les troubles cognitifs touchent 80 % des personnes ayant la sclérose en plaques, quelle que soit la forme de la maladie. C’est une maladie épisodique et imprévisible, donc le fait de pouvoir avoir une évaluation fréquente est sans aucun doute une avancée », indique Marie-Ève Simard, directrice du marketing et des communications à la Société canadienne de la sclérose en plaques – Division du Québec.

En attendant les résultats de l’essai, notons que l’approche est un exemple éloquent du seul mérite qu’aura probablement eu la pandémie : celui d’avoir accéléré le développement de la médecine à distance, moins invasive et plus accessible.

Qu’est-ce que la sclérose en plaques?

C’est une maladie autoimmune qui se caractérise par des lésions inflammatoires (des « plaques ») dans le cerveau ou la moelle épinière. Cette inflammation s’accompagne d’une démyélinisation, c’est-à-dire de la perte de la gaine protectrice entourant les neurones. Les plaques sont responsables de troubles neurologiques divers : perte de sensibilité dans un membre, troubles de la vision, troubles de la coordination, troubles urinaires, etc. Ces déficits neurologiques apparaissent par « poussées » et peuvent être en partie réversibles.

« Mais il y a aussi un aspect progressif, qui ne repose pas tout à fait sur le même mécanisme », indique le Dr Étienne De Villers-Sidani. La neurodégénérescence (mort des neurones) est caractéristique de cette phase progressive. Les poussées se rapprochent, et le handicap neurologique peut alors progresser de façon irréversible.

Le Canada affiche l’un des plus hauts taux de sclérose en plaques du monde, avec plus de 90 000 personnes atteintes.

Publié le 30 mai 2022
Par Marine Corniou