Des heures de service insuffisantes, des chauffeurs qui arrivent souvent en retard ou trop à l’avance, des oublis: il semble que le service de transport adapté est la source de plusieurs irritants à Shawinigan. Des irritants qu’un incident survenu récemment a mis en lumière, selon plusieurs organismes communautaires. Rappelons que le 15 février dernier, un jeune homme vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) a été reconduit par erreur à Trois-Rivières alors qu’il devait retourner dans sa ressource d’hébergement située à Shawinigan. Outrés, ses parents ont porté plainte à la Régie de transport en commun de Shawinigan (RTCS) qui, pensaient-ils, chapeautait le service de transport utilisé par leur fils.
Or, après vérification, la RTCS a indiqué cette semaine sur son site web que le jeune homme en question n’était pas sur la liste des usagers inscrits au service de transport adapté. Ce détail fait donc en sorte que, selon elle, la Régie n’a aucune responsabilité dans cette affaire.
Bien que selon plusieurs intervenants contactés par Le Nouvelliste, cette réponse laisse plusieurs questions en suspens, l’incident aura permis de mettre en lumière des problèmes généralisés avec le service de transport adapté à Shawinigan.
Alors que ce service devrait permettre à Vincent Gervais de mener une vie relativement normale en dépit de son handicap, c’est loin d’être le cas, prétend le jeune homme.
«On doit réserver le transport 48 heures à l’avance, mais il faut toujours rappeler le lendemain pour être sûr qu’on ait notre transport. Parfois, les chauffeurs arrivent beaucoup plus tôt. Ils nous disent qu’il faut être prêt 10 minutes à l’avance et je le comprends, mais des fois, c’est 40 minutes trop tôt qu’ils arrivent», explique-t-il.
Après vérification, Le Nouvelliste a constaté que ce délai est le même du côté de la Société de transport de Trois-Rivières. Dans plusieurs guides de pratiques en transport adapté consultés par Le Nouvelliste, on mentionne l’obligation pour l’utilisateur de réserver un transport au moins 24 heures à l’avance, voire plus selon les directives de l’organisme qui assure le service.
Les heures de service sont également un irritant. Selon M. Gervais, elles ont été fortement réduites.
«Avant, c’était jusqu’à 22h30 en semaine, mais maintenant, c’est jusqu’à 21h. Les heures changent sans cesse, selon qui appelle. On privilégie les organismes», dénonce-t-il.
Résultat: il doit se priver d’activités auxquelles il pourrait participer si le transport était, ironiquement, plus «adapté», à ses besoins et ceux des autres usagers.
«Quand je veux aller à un spectacle la fin de semaine, il faut que je me débrouille seul, parce que le transport finit à 21h. Si j’ai le goût d’aller souper quelque part, je ne peux pas parce que le transport finit à 21h. Et moi qui suis un maniaque de cinéma, je ne peux pas y aller le soir, seulement l’après-midi», énumère M. Gervais.
«Ce n’est pas parce qu’on est en fauteuil qu’on n’a pas le droit de sortir, d’avoir une vie normale», plaide-t-il.
Un autre usager, qui a préféré demeurer anonyme, peste lui aussi contre ce qu’il considère être de sérieux ratés dans le transport adapté.
«Le transport adapté finit à 21h, mais le transport en commun, ça termine plus tard. Pourtant, ça doit en faire partie, ça devrait se terminer à la même heure», soutient-il.
Rappelons qu’à Shawinigan, l’entreprise Taxi Bellemare est mandatée par la RTCS pour fournir tant le transport adapté que le taxi adapté.
Confusion
La semaine dernière, la RTCS indiquait au Nouvelliste ne pas avoir reçu un volume important de plaintes liées au transport adapté, une information répétée cette semaine. Mais selon Violaine Héon, coordonnatrice du Regroupement d’organismes en déficience intellectuelle et troubles du spectre de l’autisme (RODITSA) de la Mauricie, si les organismes et les usagers ne multiplient pas les plaintes, cela n’empêche pas qu’il y ait plusieurs irritants.
«Il y a des retards et le temps passé par les usagers dans le transport est trop long. Les horaires ne sont pas optimaux pour permettre aux personnes qui s’occupent des usagers de faire une journée de travail normale. Si une personne arrive à une ressource à 10h et repart à 14h, ça ne fait pas une bonne journée de travail. Il y a aussi un manque d’accompagnement (de la part du chauffeur) quand l’usager embarque ou débarque. Ça ne finit pas forcément par une plainte officielle, mais ce sont des irritants quotidiens pour les organismes. Ça devient assez prenant», soutient-elle.
Mme Héon dit aussi attendre d’autres réponses quant à l’incident du 15 février dernier.
«Je considère que tant chez Taxi Bellemare que la RTCS, il y a des questions qui doivent se poser. Ça met en lumière des problématiques qui vaudraient la peine qu’on s’y penche dessus», mentionne-t-elle.
Pour Josée Houle, directrice générale de l’organisme Handicap Soleil et représentante de la Mauricie à l’Alliance des regroupements des usagers du transport adapté du Québec (ARUTAQ), une des sources du problème, à Shawinigan, est le fait que la même entreprise, Taxi Bellemare, prend en charge le transport adapté et le taxi adapté. Or, selon des usagers, le transport adapté, qui se fait normalement par minibus, est parfois assuré par des chauffeurs de berlines.
«Les gens ne font pas la différence entre les deux. Si les véhicules étaient identifiés différemment, il y aurait peut-être moins de confusion», estime-t-elle.
Elle croit par ailleurs que la répartition des appels aux chauffeurs devrait être séparée. Les appels venant d’usagers inscrits à la RTCS devraient être pris en charge par une personne embauchée par la Ville de Shawinigan alors qu’à l’heure actuelle, tous les appels passent par la répartition de Taxi Bellemare, soutient-elle.
Mme Houle met toutefois une partie de la faute sur le gouvernement du Québec. Selon elle, la loi 17, qui a profondément transformé l’industrie du taxi, a carrément laissé pour compte les personnes qui ont besoin de ce service.
«Les chauffeurs ne sont plus obligés d’offrir un service aux personnes handicapées, ils ne sont plus obligés de suivre une formation pour aider ces personnes à embarquer de manière sécuritaire dans leur taxi. Anciennement, les chauffeurs étaient tenus d’offrir confort et courtoisie à tous les usagers. Ils devaient aider un passager à monter et descendre de l’automobile s’il en avait besoin en raison de son âge, de son état de santé ou de son handicap. Cet article-là a été enlevé de la nouvelle loi», critique-t-elle.
Quant aux autres conséquences de la loi 17, le propriétaire de Taxi Bellemare, Sylvain Bernier, avait déjà évoqué à plusieurs reprises qu’elle a contribué à diminuer le nombre de chauffeurs sur lesquels il peut compter. La semaine dernière, il avait indiqué au Nouvelliste que sur les sept chauffeurs qui opéraient ses minibus adaptés avant la pandémie et l’entrée en vigueur de la loi 17, il ne lui en reste que la moitié.
Bernier avait par ailleurs assuré au Nouvelliste ne pas avoir reçu un nombre élevé de plaintes, estimant qu’il donne un bon service.
Horaires identiques ou différents?
Le président de la RTCS, le conseiller du district des Hêtres Jean-Yves Tremblay, confirme que les horaires du transport adapté sont différents de ceux du transport en commun. Il confirme qu’en semaine, le service arrête après 21h, sauf exception, et qu’il n’est pas offert le dimanche.
«Ça a toujours été comme ça, puisque le règlement sur le transport adapté, c’est surtout pour le transport scolaire, pour aller au travail, sur les plateaux sportifs et pour les organisations. On leur permet des activités le soir, jusqu’à 21h, parfois même jusqu’à 22h, par exemple pour un tournoi de quilles, aller au théâtre, à la cabane à sucre, etc.», soutient-il.
Or, la définition qu’a Josée Houle du transport adapté diffère de celle de M. Tremblay. Selon elle, ce service devrait permettre aux personnes handicapées ou qui ne peuvent prendre le transport en commun de se déplacer librement, comme peut le faire le reste de la population.
«Ces personnes devraient être desservies au même titre que les autres membres de la population. Elles devraient avoir le même service. C’est inscrit à l’article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne», affirme-t-elle.
Dans sa Politique d’admissibilité au transport adapté, le ministère des Transports du Québec indique en effet qu’un usager qui bénéficie d’une admission pour tous ses déplacements doit pouvoir «utiliser le transport adapté pour tous ses déplacements».
La Loi sur les cités et villes prévoit par ailleurs que «Toute municipalité dont le territoire n’est pas desservi par une société de transport en commun ou par un autre organisme public de transport en commun qui assure un service de transport adapté aux personnes handicapées doit […] contracter avec une personne afin d’assurer aux personnes handicapées l’accès, sur son territoire, à des moyens de transport adaptés à leurs besoins».
Rencontres à venir
Malgré les critiques concernant le transport adapté qui lui ont été transmises par Le Nouvelliste, M. Tremblay maintient que la RTCS et lui-même jugent satisfaisant le travail effectué par Taxi Bellemare.
«C’est arrivé qu’il y ait des problèmes, mais on s’est assis ensemble et on les a réglés. On prend nos responsabilités», assure-t-il.
Tremblay indique toutefois que la RTCS entrera prochainement en contact avec des personnes qui ont porté plainte pour des ratés survenus avec le service de taxi adapté. Cet exercice sera fait pour les plaintes reçues au cours des deux dernières années, mais uniquement pour les usagers inscrits à la RTCS.
«Les gens mélangent un peu les services. Je suis à établir vraiment ce qui en est des services chez nous, et qui sont les personnes qui le prennent chez nous, et je vais les rencontrer dans les semaines à venir», promet-il.
Du côté des organismes communautaires œuvrant auprès des personnes handicapées ou vivant avec une déficience intellectuelle ou un TSA, une rencontre est prévue en mars pour faire le point sur la situation du transport adapté pas seulement à Shawinigan, mais dans toute la Mauricie.