Soins à domicile : l’approche inspirée et inspirante des Pays-Bas

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Il est 7 h et le petit groupe d’infirmiers que nous rencontrons est déjà à pied d’œuvre. Révision rapide des dossiers médicaux, confirmation de la liste de rendez-vous, on échange quelques blagues et hop, il est temps de partir.

Gert-Jan Bleeker, le chef d’équipe, attrape une boîte de masques chirurgicaux d’une main, une poignée de gants stériles de l’autre et se dirige au pas de course vers sa petite voiture de service identifiée aux couleurs d’Alerimus, une organisation à but non lucratif à laquelle l’État néerlandais fait appel pour fournir les soins à domicile aux personnes âgées.

Il n’y a pas de temps à perdre, le premier patient sur sa liste est un homme très malade de 90 ans qui vit seul et qui attend de l’aide pour se lever de son lit et démarrer sa journée.

Leen Vermaas est en fin de vie. Il souffre d’insuffisance cardiaque et respiratoire.

L’infirmier déclenche l’ouverture de la porte avec son téléphone portable et entre. « La plupart des gens souhaitent mourir chez eux, nous dit l’infirmier Gert-Jan Bleeker. Une personne se sent plus elle-même quand elle est dans sa propre maison. »

C’est le cas de M. Vermaas. Cet homme sympathique au corps amaigri nous confie qu’il ne peut presque plus rien faire par lui-même. « Au moindre effort, je suis complètement épuisé », dit-il. Son fils et sa fille ne peuvent lui rendre visite qu’une fois par semaine. Sa vie dépend complètement des services infirmiers et médicaux fournis par le régime public néerlandais : soins d’hygiène, repas, médication, injections…

Les infirmiers vont chez lui deux fois par jour. Le médecin, environ une fois par semaine. Et M. Vermaas peut communiquer avec eux en tout temps en appuyant sur un bouton, en cas d’urgence.

La petite équipe de Gert-Jan, qui compte quatre infirmiers et infirmières, prend soin d’une cinquantaine de patients. Ces spécialistes de la santé font partie d’un système national qui compte des dizaines d’organismes à but non lucratif chargés de prendre soin de plus de 3 millions de patients âgés, soit la très grande majorité d’entre eux.

Certains sont vus plusieurs fois par jour, comme Truus Vlasblom, une femme de 82 ans atteinte de plusieurs maladies qui la rendent très dépendante des soignants et qui, jusqu’à tout récemment, cohabitait avec un mari atteint de démence.

« Maintenant, c’est plus calme à la maison. Mon mari criait et m’insultait tout le temps », nous dit-elle. Son mari est maintenant hospitalisé. Elle reçoit de l’aide psychologique une fois par semaine, en plus des visites quotidiennes des infirmiers.

Gert-Jan Bleeker lui fait des pansements, désinfecte une plaie, l’aide à s’habiller et repart. Une fois dehors, il précise : « Nous préférons en faire un peu moins pour maintenir une autonomie tout en espérant que le patient nous demandera plus de soins si c’est insuffisant. »

Les infirmiers sont en contact avec un médecin qui intervient au besoin.

« Je n’ai pas le temps de voir chaque patient âgé pour m’assurer qu’il prend bien ses médicaments », nous lance la médecin Maria Veldhoen. Elle compte beaucoup sur le personnel infirmier pour évaluer les besoins et faire les suivis requis.

Ces suivis peuvent se faire par visioconférence. Il faut dire que la Dre Veldhoen et son mari, également médecin de famille, ont une liste de 5700 patients. « Les soins seraient suffisants si les infirmières pouvaient faire plus de prévention à la maison. Mais on manque d’infirmières », ajoute-t-elle.

« Notre système a tout de même ses limites »

Le modèle néerlandais est loin d’être parfait. On manque de ressources humaines dans ce pays comme ailleurs. Mais il part d’une intention diamétralement opposée à celles du Québec et du Canada : aux Pays-Bas, on vise d’abord à maintenir les gens chez eux. Les soins à la maison et les activités sociales pour les personnes âgées malades sont financés par l’État néerlandais et par un régime d’assurance parmi les plus généreux du monde.

Nombre de lits en centres de soins (65 ans +)

  • Pays-Bas : 2,5 lits/100 personnes
  • Québec : plus de 4 lits/100 personnes

Source: OCDE

Il y a presque deux fois moins de lits pour aînés dans les centres de soins publics aux Pays-Bas comparativement au Québec. Le maintien à domicile permet d’économiser des sommes considérables. Et pourtant, les Pays-Bas consacrent presque trois fois plus (3,7 % du PIB) de leur budget au soutien des personnes âgées que le Québec (1,7 % du PIB) et le Canada (1,7 %).

C’est d’abord une question de philosophie et de mentalités qui explique cette différence, affirme la chercheuse Mirella Minkman, présidente du groupe de recherche néerlandais Vilans, et professeure à l’Université de Tilburg.

« Aux Pays-Bas, les gens valorisent beaucoup la notion d’autonomie. Et les recherches nous montrent que cela procure une meilleure estime de soi. Il faut apprendre à mieux s’occuper les uns des autres dans nos villes et nos villages pour nous permettre de bien vieillir. »

« Notre système a tout de même ses limites », constate pour sa part Elly Sanders, une résidente de Numansdorp, près de Rotterdam. Elle vit avec un mari atteint de plusieurs maladies graves qui l’empêchent de faire le moindre mouvement. Il est totalement dépendant d’elle et les visites des infirmiers de l’organisme Alerimus ne suffisent pas.

À 75 ans, elle sait qu’elle ne pourra pas continuer à ce rythme longtemps. « C’est bien parce qu’on peut rester à la maison, mais c’est difficile de trouver une place pour les vieilles personnes handicapées. Ou alors il faudra déménager très loin. C’est pour ça qu’on veut qu’on reste le plus longtemps possible à la maison, comme maintenant. Il n’y a pas assez de places. »

C’est un peu l’envers de la médaille. L’État néerlandais manque de places pour accueillir les personnes qui ne sont plus du tout autonomes.

« La seule limite de notre système concerne les personnes qui doivent être hospitalisées pour des soins médicaux spécialisés, rétorque la directrice d’Alerimus, Trix van Os. Sinon, il n’y a pas de limites. Je vois parfois des personnes qui sont très malades et qui arrivent à se débrouiller pour rester à la maison. La vraie limite est dans la tête du patient », affirme-t-elle.

L’infirmier Gert-Jan Bleeker émet des doutes. À la fin de sa journée, il nous confie : « Parfois, je m’inquiète, j’ai peur qu’un de mes patients fasse une chute… Une petite voix me dit que j’aurais peut-être dû appeler un médecin à telle ou telle occasion. »

Il demeure persuadé que l’approche néerlandaise est la bonne. « Le charmant avantage de vieillir à la maison, c’est de ne pas avoir à se soumettre à des règles comme dans les maisons de soins, dit-il. Il faut aussi garder en tête qu’on ne peut pas tout contrôler et que la vie parfois, c’est difficile. »

Publié le 07 septembre 2022
Par Sylvain Desjardins