Tailler sa place en construction, malgré les difficultés d’apprentissage

Temps de lecture estimé : 8 minutes.

Les jeunes qui ont des troubles d’apprentissages importants quittent parfois le secondaire les mains vides, sans leur diplôme. Certain·es ont pourtant des habiletés qui pourraient être reconnues dans des domaines techniques ou manuels, comme la construction. Mais faute de répondre aux exigences scolaires, ces jeunes doivent redoubler d’efforts pour faire leur place dans une industrie qui tarde à fournir des accommodements. 

Cela a des répercussions importantes pour Christian Collins, qui travaille comme couvreur de toitures. En raison de ses difficultés scolaires, il n’a pas la troisième année de secondaire requise pour accéder au processus d’accréditation normal, ce qui faciliterait la reconnaissance officielle de ses compétences. 

En effet, au Québec, plusieurs métiers de la construction exigent un certain niveau de scolarité générale. Cette exigence s’ajoute à celles qui concernent la formation professionnelle ou l’expérience dans le domaine. 

Si l’industrie permet pour le moment à Christian Collins de travailler en tant qu’apprenti couvreur dans le cadre d’une exemption, elle ne prévoit pas d’accommodement qui faciliterait sa pleine intégration au métier. Au contraire, Christian devrait mettre les bouchées doubles afin de graduer au titre de  « compagnon », ce qui aurait un impact direct sur ses conditions de travail et son salaire. Il s’agit pourtant d’un métier qu’il effectue déjà très bien, selon ses employeurs.

Lorsqu’il a déniché du boulot dans une compagnie de toitures en Outaouais, Christian était enthousiaste quant à son avenir. « On m’a donné une chance », avoue-t-il en expliquant qu’il avait déjà accumulé un peu d’expérience en construction au moment de son embauche. « C’est tellement un beau métier, j’étais vraiment content d’avoir cette opportunité-là. » 

Âgé de 25 ans, il a connu un parcours scolaire difficile en raison de ses troubles d’apprentissage.

LES TROUBLES D’APPRENTISSAGE

Les troubles d’apprentissage sont un ensemble de difficultés à acquérir, retenir et traiter l’information, qui sont présents dès la petite enfance et qui perdureront toute la vie. Pour plusieurs, il s’agit d’un handicap invisible dont les symptômes sont souvent faussement associés à un manque de motivation à l’école.

Au Canada, c’est 3,2 % des enfants qui vivent avec des troubles d’apprentissages.

Même lorsqu’ils ont accès à des services, en orthophonie par exemple, et qu’ils parviennent à obtenir les adaptations scolaires auxquels ils ont droit, l’obtention d’un diplôme n’est pas gagnée d’avance. Selon un rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 40 % d’entre eux décrochent avant d’obtenir leur diplôme d’études secondaires. 

Chez Christian Collins, c’est plus précisément la dyslexie, la dysorthographie, le trouble développemental du langage et le déficit de l’attention qui sont en cause. Cela se traduit surtout par une difficulté à lire, à écrire et à s’exprimer verbalement. 

Mais cela importe peu pour son employeuse Joanie Carrière, pour qui l’embauche d’un jeune compétent et motivé comme Christian était gagnant-gagnant. Elle affirme que le domaine fait face à un manque important de main-d’œuvre. 

C’est d’ailleurs pour répondre à ces besoins que la Commission de la construction du Québec (CCQ) émet depuis quelques années des cartes d’exemption. Celles-ci ont permis à des jeunes comme Christian d’être recruté·es. Ils peuvent ainsi travailler en tant qu’apprentis dans différents métiers spécialisés, comme c’est la norme en début de parcours, mais à condition de payer des frais annuels. 

Un parcours ardu

Pour 100 $, Christian peut donc obtenir une exemption qui lui permet de continuer son travail de couvreur durant une période d’un an. Pendant ce temps, il est tenu de compléter ses études à l’école des adultes pour obtenir un secondaire 3, exigé pour obtenir le statut de « compagnon » couvreur. 

Pour Christian, retourner à l’école semble peine perdue. « Je suis une personne manuelle », explique Christian en ricanant. « Je ne suis pas fait pour être derrière un bureau. » 

Le jeune homme ne parviendra pas à atteindre en un an l’équivalent du secondaire 3 en faisant l’école du soir, tout en travaillant à temps plein. Au primaire, il avait été assigné à une classe spécialisée et avait décroché avant d’entrer au secondaire. Il avait aussi tenté sa chance à l’école des adultes à deux reprises, sans succès. 

Il est donc forcé de renouveler l’exemption chaque année, en payant les frais à chaque reprise. Du moins jusqu’à ce qu’il ait complété 4000 heures comme couvreur, soit au minimum deux ans de travail. 

C’est deux fois le nombre d’heures exigé pour une personne détenant déjà les prérequis scolaires. S’il persévère, il pourrait accéder à un examen de compétence qui lui permettrait de devenir « compagnon » couvreur à part entière. 

Pour le moment, la CCQ ne prévoit pas d’accommodements adaptés aux besoins des travailleurs et travailleuses comme Christian qui vivent avec des troubles d’apprentissage. Cela permettrait pourtant à ces jeunes désavantagés de se retrouver sur un pied d’égalité avec leurs collègues qui font le même cheminement, mais qui ont déjà les prérequis scolaires. Sans cela, ils et elles se voient forcés d’emprunter un parcours plus long et plus laborieux. 

« Ça n’a pas de sens », s’indigne Joanie Carrière en notant que cela rend les choses plus difficiles pour des jeunes qui mériteraient au contraire d’avoir davantage de soutien. 

Un système rigide 

Joanie Carrière s’est adressée à la CCQ afin de plaider pour des accommodements en cas de troubles d’apprentissage. 

Selon elle, la Commission comprend mal les besoins des jeunes en difficulté comme Christian. « Il a le droit, lui aussi, d’accomplir un métier qu’il aime, sans embûche et dans sa province. » 

Dans sa réponse à la plainte de Mme Carrière, la CCQ s’est dite « sensible » à la réalité des jeunes en difficulté d’apprentissage, mais elle ne propose aucune adaptation. Elle maintient que, difficultés d’apprentissage ou non, tous les individus qui ne détiennent pas les exigences scolaires doivent compléter les préalables dans la période de validité de l’exemption. 

Dans sa réponse, la CCQ affirme que les exigences scolaires sont établies par les différents partenaires de l’industrie et le ministère de l’Éducation.La CCQ, un organisme parapublic qui réunit des représentants patronaux, syndicaux et indépendants, est chargée de veiller à leur respect. 

« C’est la CCQ qui mène le bal », admet un représentant du Syndicat interprovincial des ferblantiers et couvreurs. Il rapporte que des tentatives de défendre des cas similaires à celui de Christian Collins auraient échoué par le passé. « C’est la CCQ qui décide au bout de la ligne, et elle ne change pas de cap. » 

C’est dommage, selon les représentants syndicaux à qui nous avons parlé. Ils préconisent tout de même l’embauche de candidat·es diplômé·es dont les compétences sont accréditées, s’inquiétant de la baisse du taux de formation dans l’industrie de la construction. 

Pour eux, il s’agit d’un enjeu de sécurité au travail. Selon le représentant syndical des couvreurs, une modification des exigences pour permettre des accommodements en cas de troubles d’apprentissage est un enjeu complexe qui reçoit peu d’attention dans le domaine. 

Des jeunes pénalisé·es 

« C’est beaucoup trop compliqué pour les gens de mon âge qui ont lâché l’école et qui n’ont pas les études pour travailler », confie Christian. « Pourtant, il ne manque pas de travail. »

Christian admet qu’il a lui-même déjà songé à travailler en Ontario, où il accéderait à une meilleure reconnaissance de ses compétences. Il voudrait cependant continuer de travailler au Québec pour ses employeurs actuels. 

En Ontario, des règlements plus souples permettraient d’accéder à de meilleures opportunités d’emploi, et ce même en début de carrière. Cela amène plusieurs jeunes à migrer de l’autre côté de la frontière, surtout lorsqu’ils travaillent déjà en région frontalière, comme en Outaouais. 

Lorsqu’on lui demande ce qu’il envisage pour son avenir, il hésite. « 4000 heures c’est beaucoup, je ne sais pas si je vais persister », admet-il. « Il y a tout un stress [financier] qui peut venir avec ça. » 

« Moi je suis chanceux, j’ai des gens autour de moi qui m’aident », explique Christian. Il rappelle que tous les travailleurs et travailleuses qui vivent avec des troubles d’apprentissage n’ont pas nécessairement le soutien de leurs employeurs.

Publié le 25 novembre 2022
Par Léa Beaulieu-Kratchanov
Sur Pivot