Transport mésadapté à Ottawa, selon des citoyens

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En pleine campagne électorale municipale en Ontario, des personnes handicapées demandent un meilleur transport adapté dans la capitale fédérale.

Jamais Linda Paul n’aurait cru qu’à 48 ans, elle aurait perdu la majeure partie de son autonomie. « Je marchais pour aller partout. C’est ce que tu fais quand tu habites au centre-ville. J’étais en forme et en bonne santé », raconte-t-elle.

Depuis 13 ans, Mme Paul vit avec une forme de sclérose en plaques, une maladie chronique qui s’attaque à son système nerveux central. Elle peut marcher sans aide, mais seulement chez elle, car la fatigue se met rapidement de la partie. Pour aller à l’extérieur, c’est le triporteur ou le transport en commun.

Le transport en commun, c’est là que ça se complique

Linda Paul a des amis, une vie sociale, mais elle n’ose pas accepter une invitation spontanée au restaurant.

« Je ne pourrais pas organiser un transport adapté [Para Transpo], et je ne sais pas si je serais capable d’obtenir un taxi. S’il y en a un qui est disponible, c’est bon, et sinon, oublie ça », explique-t-elle. « [Si tu obtiens un taxi], c’est possible que tu te rendes, mais c’est aussi possible qu’aucun ne soit disponible pour te ramener à la maison. »

Les règles de Para Transpo prévoient qu’un transport doit être réservé 24 heures à l’avance.

« Le modèle de prestation de services de Para Transpo, en tant que service de transport collectif offert sur réservation, est établi par le Conseil. Le premier trajet de Para Transpo est réservé pour 6 h et le dernier à minuit, ce qui signifie que les clients ayant une réservation pour minuit seront pris en charge entre 00 h et 00 h 30, et arriveront à destination, au plus tard, à 1 h », indique la Ville dans une déclaration écrite. « Certains trajets de nuit planifiés à l’avance peuvent être assurés entre minuit et 6 h, sans toutefois être garantis. »

Elle dit aussi « s’efforcer d’effectuer des trajets d’urgence et de dépannage, car ces demandes sont en hausse ».

Quant aux réservations le jour même, la Ville indique que « le fait de réserver un trajet 24 heures à l’avance donne aux clients l’assurance d’avoir choisi le moment de la journée qu’ils privilégient pour se déplacer. Le personnel s’efforce, chaque jour, d’accepter les demandes de transport pour le jour même, si la capacité le permet ».

Des problèmes aussi pour prendre un taxi

Linda Paul pourrait aussi prendre un taxi, mais les compagnies de taxi d’Ottawa ne permettent pas la réservation d’un taxi accessible à l’avance. Or, ce n’est pas le cas pour les taxis réguliers, qui peuvent, eux, faire l’objet d’une réservation.

Selon l’expérience vécue par Mme Paul, impossible de garantir qu’un taxi adapté se présentera au moment où le client en a besoin.

Radio-Canada a demandé aux compagnies Blueline Taxi et Capital Taxi pourquoi il en était ainsi, mais au moment de publier ces lignes, ni l’une ni l’autre n’avait répondu à nos demandes d’entrevue.

Source de stress

Ces lacunes dans le transport adapté sont une source de stress pour Mme Paul. Un simple rendez-vous avec un médecin à l’hôpital peut devenir un fardeau.

« Les [médecins] spécialistes ne sont pas toujours à l’heure. Para Transpo n’est pas toujours à l’heure », témoigne-t-elle. « Je me soucie d’être prise en charge à l’heure, d’arriver à mon rendez-vous à l’heure, et que mon rendez-vous finisse à l’heure pour ne pas rater mon voyage de retour. »

« Je n’aime pas avoir à me battre pour ce que tout le monde prend pour acquis. […] J’aimerais que la ville soit accessible pour tout le monde. » – Linda Paul

Alors que la campagne électorale municipale bat son plein, l’Ottavienne aimerait que la question de l’accessibilité soit mise à l’ordre du jour.

Le transport trop longtemps négligé, selon la Coalition des personnes handicapées d’Ottawa

Denis Boileau ne s’étonne pas des problèmes de transport adapté à Ottawa.

« Je ne veux pas dénigrer la Ville d’Ottawa. On fait du mieux qu’on peut, mais il y a beaucoup de choses qu’on peut améliorer », avance le directeur général du Centre de services Vista pour traumatisés crâniens (CSVTC), et porte-parole de la Coalition des personnes handicapées d’Ottawa.

« Ce n’est pas seulement un problème à la Ville d’Ottawa. Je peux aussi parler des villes de Montréal et de Toronto qui ont des problèmes semblables. » – Denis Boileau, membre de la Coalition des personnes handicapées d’Ottawa

Selon M. Boileau, la pandémie a même exacerbé le problème en ce qui concerne les taxis.

Le porte-parole du CSVTC évalue qu’il y a maintenant la moitié moins de taxis adaptés qu’avant la pandémie.

Le porte-parole demande à ce que les heures d’opérations de Para Transpo soient revues pour que le service soit disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

« On ne veut pas se sentir des citoyens moindres que les autres citoyens qui n’ont pas de problèmes d’accessibilité », poursuit M. Boileau. « On a des besoins comme tout le monde, à toute heure de la journée. »

Comme Linda Paul, il souhaite que les services de Para Transpo puissent être réservés la journée même.

« Vous êtes une personne avec un handicap, peu importe, vous avez des problèmes d’accessibilité, vous voulez aller voir votre médecin parce que vous ne vous sentez pas bien, essayer d’obtenir le service de Para Transpo la même journée, ça va être très compliqué », lance-t-il.

Que disent certains candidats à la mairie ?

Catherine McKenney, qui brigue la mairie d’Ottawa, ouvre la porte à ce que la Ville s’implique financièrement pour inciter les compagnies de taxi à rendre plus de taxis adaptés disponibles.

« Nous devons nous assurer que nous donnons assez d’incitatifs aux propriétaires de taxi pour qu’ils fournissent à leur tour plus de taxis adaptés », poursuit Catherine McKenney, qui souhaite aussi doubler la surcharge demandée à chaque voyageur pour un voyage en taxi afin de financer le transport adapté. « Si on n’a que 10 voitures adaptées sur la route, nous n’y arriverons pas. »

De son côté, le candidat à la mairie Mark Sutcliffe dit qu’il annoncera son plan en matière de transport et d’accessibilité plus tard dans la campagne. Il convient que les services de Para Transpo ne remplissent pas ses attentes.

« Je me présente à la mairie d’Ottawa pour une ville plus sécuritaire, fiable, et abordable. Ceci inclut une ville sécuritaire et fiable pour ceux qui ont des difficultés de mobilité », a indiqué son équipe de campagne par courriel. « Présentement, le système de transport collectif Para Transpo n’est pas fiable, c’est un enjeu que je compte aborder dans les prochaines semaines. »

Le candidat Bob Chiarelli n’a pas répondu aux demandes d’entrevue de Radio-Canada au moment d’écrire ces lignes.

Publié le 13 septembre 2022
Par Julien David-Pelletier