Rendez-vous médical, témoignage à la cour, réunion à l’école, achat d’une maison et même pour un accouchement: le métier d’interprète est important dans la vie des personnes sourdes, mais la pénurie dans cette profession alarme la communauté qui doit parfois retarder ces rendez-vous faute de moyens pour communiquer.
«Ça me fait beaucoup de peine. Cette pénurie est amplifiée, mais elle a toujours existé parce que ça a toujours été un métier inconnu», a laissé tomber Lyne Gargano.
En 34 ans de carrière, l’interprète ne manque pas d’exemples d’endroits où elle a été appelée à assurer la communication. Se retrouver près d’une quinzaine de fois en salle d’accouchement pour l’arrivée au monde d’un nouveau-né l’a toutefois marqué plus qu’autre chose.
«Les accouchements, c’est quelque chose qui me fait pleurer à chaque fois, a-t-elle reconnu. Quand on a la chance de faire partie de ce moment-là, c’est quelque chose de très émouvant, où veut, veut pas, la barrière s’amenuise.»
L’interprète est donc souvent là à chaque étape ou presque de la vie d’une personne sourde.
«J’ai de la clientèle aujourd’hui que j’ai presque vu naître de leurs parents sourds et eux aussi sont sourds. Je me retrouve à côtoyer ces gens-là, c’est tellement un beau monde», a raconté Mme Gargano avec le sourire.
Elle travaille pour le Service d’interprétation visuelle et tactile (SIVET) dans le Grand Montréal, une organisation à but non lucratif subventionnée par Québec.
Toute personne sourde peut faire appel à leurs services, mais seulement pour tout ce qui touche la santé et les services sociaux.
«Autre que ça, il y a la vie de tous les jours [comme les loisirs] qu’on ne peut pas couvrir», faute de main-d’œuvre, a expliqué Lorena Garrido, directrice générale du SIVET.
Face à un mur
Sans suffisamment d’interprètes, certains membres de la communauté sourde sont par moments obligés de reporter des rendez-vous ou d’avoir recours à l’aide de leurs proches.
D’autres en viennent même à payer des services privés d’interprétation, qui peuvent parfois commencer à 105$ de l’heure, sans compter le kilométrage, a indiqué la directrice générale.
Avec 70 interprètes employés dans son organisation, Mme Garrido craint de frapper un mur depuis qu’elle a de la difficulté à combler les services essentiels.
L’année dernière, le SIVET a été obligé de refuser 10 à 12% des 12 000 demandes d’interprétation reçues.
«Il y a plus de demandes, mais le bassin des interprètes n’a pas grossi à la même mesure que les demandes sont arrivées», a expliqué Mme Gargano, alors que les requêtes ont augmenté de 35% en cinq ans.
Tout miser sur la formation
Si cette profession est quasiment une vocation pour Lyne Gargano, qui a voulu apprendre la langue des signes afin de pouvoir communiquer avec son voisin sourd, elle est encore peu mise de l’avant dans les parcours scolaires.
«Ça serait le fun que des fois, des jeunes aient l’idée d’être avocat, médecin ou interprète», croit Mme Garrido.
Il faut au moins sept ans d’apprentissage avant d’être capable d’interpréter de façon professionnelle, a estimé l’interprète.
Une majeure dans ce domaine existe d’ailleurs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), mais il faut toutefois savoir maîtriser la langue des signes avant de pouvoir y entrer.
«Nous, ce qu’il nous faudrait à long terme, c’est un parcours clair pour la formation d’interprète», a soutenu Mme Garrido, qui aimerait mieux faire connaître la profession et voir des incitatifs pour ceux qui s’y engagent.
Malgré la complexité de la langue et la responsabilité de délivrer un message juste, Lyne Gargano est catégorique: son métier est «très gratifiant».
«C’est faire une différence dans la vie des gens en détenant vraiment la clé de la communication», a-t-elle résumé.