On ne peut pas encore guérir la SLA, mais la recherche avance. Des chercheurs montréalais préparent un essai clinique sur l’humain. Pour tester… un probiotique.
Vous rappelez-vous le fameux Ice Bucket Challenge de l’été 2014 ? Des gens se versaient des seaux d’eau glacée sur la tête pour amasser des fonds et financer la recherche contre une maladie jusqu’alors méconnue : la sclérose latérale amyotrophique, ou SLA. Cette année-là, plus de 100 millions de dollars américains ont été recueillis pour la cause.
Cette maladie, qui s’attaque aux neurones et à la moelle épinière, est toujours incurable. Lorsqu’elle frappe, elle entraîne la paralysie progressive de tout le corps, et la mort survient généralement en moins de cinq ans — le physicien Stephen Hawking, qui a vécu toute sa vie avec la SLA, souffrait d’une forme rare.
Mais la recherche avance ! Alex Parker, chercheur en neurosciences à l’Université de Montréal, vient d’annoncer que son équipe a démontré que la maladie pourrait être stoppée par des probiotiques… du moins chez le nématode, un petit ver d’un millimètre de long.
Que de simples probiotiques puissent être utiles contre une maladie aussi grave semble presque trop beau. Mais ils ont donné des résultats si intéressants qu’on les testera sur des humains dès ce printemps.
L’actualité a demandé au chercheur ce qu’il est permis d’espérer.
En quoi consiste votre découverte ?
Notre équipe a nourri des vers nématodes atteints de la SLA avec différentes souches de bactéries probiotiques, dont Lacticaseibacillus rhamnosus HA-114 [NDLR : elle n’est pas commercialisée]. Cette souche, qu’on appelle simplement HA-114, a eu un effet surprenant sur les vers : elle a stoppé la progression de la maladie. Elle n’a pas pu renverser les dommages déjà causés, mais elle a empêché qu’il y en ait davantage. Nous avons publié ces résultats en décembre dernier.
Ces vers ne font qu’un millimètre et n’ont aucun membre. Comment savoir s’ils sont atteints d’une dégénérescence du système nerveux ?
C’est plutôt facile. Même sans microscope, au premier coup d’œil, on peut voir si ces nématodes bougent normalement — ils rampent et se tortillent — ou si leurs mouvements sont anormaux, voire absents. Ceux que nous avons utilisés sont génétiquement modifiés pour développer la SLA. Contrairement aux humains chez qui la maladie se déclare à plus de 40 ans, chez les nématodes, qui ont une espérance de vie de deux à trois semaines, les symptômes apparaissent quelques jours seulement après la naissance. Donc les expériences peuvent aller vite !
Chez l’humain, sait-on comment la SLA induit la paralysie ?
Elle affecte les neurones moteurs, c’est-à-dire les neurones qui se connectent aux muscles à partir du système nerveux central et qui leur transmettent les signaux de se contracter ou de se relâcher. Chez les gens atteints de SLA, ces neurones moteurs dégénèrent et cessent de fonctionner, ce qui entraîne la paralysie et la fonte des muscles.
Connaît-on précisément le mécanisme en cause dans cette maladie ?
Précisément, non. Mais différents travaux montrent qu’elle pourrait survenir chez les gens dont le métabolisme des lipides est perturbé, c’est-à-dire chez qui les cellules ne parviennent pas à extraire l’énergie contenue dans les acides gras. Les neurones n’arrivent pas à fonctionner avec le carburant « lipides » et cela semble entraîner la dégénérescence des neurones moteurs à long terme.
Et cette fameuse souche de probiotique HA-114, sait-on comment elle agirait ?
Non. On ne sait même pas si les bactéries, une fois avalées, survivent dans le système digestif du ver. Mais qu’elles restent vivantes dans l’intestin ou qu’elles soient digérées, elles apportent quelque chose au ver qui règle le problème. Notre hypothèse du moment est que le probiotique fournirait un ou des acides gras qui font défaut aux neurones, ce qui rétablirait un équilibre métabolique et empêcherait leur dégénérescence. Mais on ne le sait pas exactement. On voit que ça fonctionne, mais on ignore encore le mécanisme.
Est-ce que cela a des chances de fonctionner chez l’humain ?
Nous sommes passés à des essais sur des souris et l’effet est positif aussi. C’est prometteur, parce que génétiquement parlant, la souris est plus proche de nous que le ver. Mais on ne s’emballe pas — les cas de traitements qui agissent efficacement chez la souris mais pas chez l’humain sont si nombreux. C’est tout de même notre prochaine étape : on amorce des essais cliniques sur des humains dès ce printemps au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). On verra si ça fonctionne toujours. Si c’est le cas, ce probiotique pourrait devenir un complément thérapeutique aux traitements qui existent déjà pour alléger les symptômes de la SLA. L’intérêt, c’est que les probiotiques, contrairement à de nombreux médicaments, sont à peu près sans effets secondaires.
Si c’est concluant, pourrait-on envisager des suppléments de probiotiques à titre préventif, avant même l’apparition de tout symptôme ?
Ce n’est pas exclu chez les gens ayant des antécédents familiaux. Mais ils ne représentent que 0,5 % des cas. La maladie apparaît plutôt au hasard dans la population, comme une mauvaise loterie. Et son incidence n’est pas très élevée : 2 nouveaux cas pour 100 000 habitants par année, pour un total d’environ 2 500 à 3 000 cas au Canada. Pas de quoi recommander la prise préventive de ce probiotique à toute la population.
Et cette souche de probiotique pourrait-elle servir pour d’autres maladies dues à une dégénérescence neuronale, comme la maladie d’Alzheimer ?
Il est trop tôt pour parler de toutes les maladies neurodégénératives, mais peut-être au moins certaines d’entre elles. Par exemple, une membre de mon équipe a démontré que la souche HA-114 offre aussi une protection contre la maladie de Huntington, toujours chez le nématode. Quelques espoirs sont permis.