Comment prévenir le déconditionnement des personnes âgées ? C’est ce que tente de découvrir un groupe de chercheurs du Québec, et ce, dans le but d’optimiser tous les soins offerts aux aînés via des programmes pragmatiques d’activité physique.
Pour y arriver, l’équipe, avec à sa tête la chercheuse principale nominée, Mylène Aubertin-Leheudre, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a obtenu une subvention de 943 344 $ sur quatre ans de la part des Instituts de recherche en santé du Canada pour le projet intitulé Optimiser la transition des soins entre les différents milieux avec l’apport de la technologie pour favoriser la santé et l’autonomie des personnes âgées fragilisées vivant ou non en régions éloignées.
Selon le résumé de la recherche, « une détérioration de leur état de santé peut entraîner une visite aux urgences, une hospitalisation et à des enjeux de sécurité les exposant à être de nouveau hospitalisés (33 % d’entre eux) ou admis en hébergement (CHSLD) suite à une perte d’autonomie dans les six mois, et encore plus pour ceux vivant en région où l’accès aux soins spécialisés est plus difficile ».
L’une des chercheuses principales de l’étude, Élise Duchesne, professeure à l’unité d’enseignement en physiothérapie de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), est responsable des projets qui impliquent de l’activité physique pragmatique. Elle a été approchée par Mme Aubertin-Leheudre.
« Elle m’a contactée pour deux raisons : on collaborait déjà dans ma filière de recherche, qui est vraiment les maladies neuromusculaires, et j’ai une expertise en développement de programmes. C’est pour ça qu’elle m’a interpellée pour ce projet spécifique, et en plus, je suis dans une région hors des grands centres. Elle avait un intérêt à voir si ce qu’elle implantait dans les [grands] milieux avait la même résultante hors des grands centres. Car si un jour ils sont offerts aux ministères, ils doivent être applicables en dehors des grands centres. C’est donc dire que Saguenay sert de région-pilote pour voir si ce qui se fait dans les grands centres s’applique à notre population », a expliqué Mme Duchesne.
L’idée est donc de construire des programmes d’activité physique très pragmatiques pour les usagers, imagés et simples, et ce, dans le but de les inciter à bouger. Ces programmes se superposent à leurs soins, donc s’ils reçoivent de la physiothérapie, ils continuent d’en recevoir.
« Ça ne remplace rien, assure Mme Duchesne. Ça fait juste s’ajouter pour prévenir le déconditionnement, soit une dégradation physique et neurologique des aînés. C’est différent d’un programme de réadaptation. On le sait que le réseau est fatigué, qu’il y a peu de ressources, alors on essaie d’avoir des programmes qui sont pensés pour et par le milieu. Ils ne sont pas parfaits. Il y a beaucoup d’allers-retours du milieu et [les intervenants] nous disent ce qui marche et ce qui ne marche pas », explique la professeure pour démontrer que les programmes ont été coconstruits avec les différents milieux.
Par exemple, le programme peut être dans la chambre de l’usager, et quand une préposée aux bénéficiaires ou une personne d’entretien passe dans le corridor, elle peut tout simplement demander à l’usager s’il a pensé à faire ses exercices.
« Tous les gens qui travaillent dans le milieu sont appelés à encourager l’usager à faire son programme d’exercice. On n’a pas besoin d’avoir un expert de la réadaptation pour faire ce programme-là. » — Élise Duchesne
PATH 2.0 et PUSH
Présentement, deux projets phares sont en cours au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le premier, PATH 2.0, a d’abord été mis en place à Montréal et ses environs. Il est actuellement implanté à l’Unité de courte durée gériatrique (UCDG) d’Alma et des discussions sont en cours avec l’unité gériatrique de l’hôpital de Jonquière, mentionne la chercheuse.
« Quand les gens ont un séjour en UCDG, dès leur admission, tout le monde est impliqué. Alors le médecin, les infirmières s’assurent que l’usager répond aux critères d’inclusion et d’exclusion. Ils font une espèce de tri. Après ça, ils nous appellent et si ça répond [aux critères], on débarque dans le milieu. On s’assure que les gens veulent participer à la recherche. »
Le deuxième projet, PUSH, a été implanté au Saguenay dans un premier temps et le sera ensuite dans un grand centre. Les CHSLD de Bagotville et des Pensées (Jonquière) sont les milieux sélectionnés.
« C’est la première fois que je pars de zéro dans tout le processus de cocréation avec le milieu. C’est vraiment spectaculaire de voir à quel point on a eu des échanges. Nous, on arrive comme experts de l’activité physique, et eux, comme experts de leur milieu, de leur clientèle. Par exemple, des fois, on arrive avec une chose qu’on pense super intelligente et eux nous disent que non, ça ne marchera pas, parce que la chambre ne peut pas permettre ça, par exemple. Ils connaissent tellement leur routine, leur milieu. Dans la cocréation, l’outil vient des deux côtés. Ça nous permet de bâtir quelque chose qui a de réelles chances d’être accepté par le milieu », mentionne la chercheuse pour démontrer l’importance de la collaboration.
« Le programme vise à impliquer le plus de monde possible pour diluer la tâche. On ne veut pas se retrouver dans une situation où c’est une personne précise qui doit faire la tâche. On ne veut pas que ce soit un individu dépendant. On veut que le milieu adhère, on est allé leur parler des projets en leur disant que “dans votre quotidien, comme préposée aux bénéficiaires, comme personne d’entretien, comme infirmière, vous serez sollicités à encourager les participants à faire leur activité physique, à noter dans le cahier suivi”. »
Qui se déconditionne ?
La clientèle des CHSLD est la plus vulnérable au déconditionnement, confirme Mme Duchesne, car les usagers ne font plus leurs tâches quotidiennes, tout en montant ou descendant les escaliers, notamment, ou en marchant pour changer de pièce. Mais elle précise toutefois que le projet, très large, s’adresse à tous les aînés, où qu’ils soient.
« En CHSLD, ce sont vraiment des clientèles vulnérables. Les intervenants nous disent qu’il peut être facile de faire la tâche à la place du résident. Dans un contexte de soin, où tout va vite, c’est plus facile de faire manger le résident que de le laisser manger, par exemple. Ils sont là pour offrir des soins, mais en voulant bien faire, souvent, ils ne laissent pas assez d’autonomie. Mais ce n’est pas dans une mauvaise intention », ajoute la professeure.
Cette dernière est consciente que ce milieu en est un qui « souffre et qui est surchargé ». Le but n’est donc pas d’ajouter une charge de travail supplémentaire.
« La prévention, ça ne fait pas vraiment partie de notre culture. Donc, les soins ne sont pas organisés comme ça. Alors quand on arrive, ça peut être vu comme une surcharge, mais ce qu’on essaie, c’est justement de la diminuer entre plusieurs personnes. On a vraiment des intervenants-clés dans les deux CHSLD. La plupart sont ouverts à l’idée, alors nous allons faire les premiers tours de roue, et voir ensuite les effets. »
Élise Duchesne mentionne toutefois qu’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions de l’étude, car les cohortes devraient être suivies jusqu’en juin 2024. Mais déjà, elle peut qualifier de « toute une aventure » le travail de cocréation.
« On a des milieux qui sont vraiment impliqués, qui y croient. Ils le vivent au quotidien, le déconditionnement, et ils font déjà plein de choses, mais ils sont submergés. Là, ils croient en un outil facilement implantable, auquel ils ont collaboré intellectuellement et de façon pragmatique », ajoute-t-elle, tout en levant son chapeau à Anne-Gabrielle Brassard, une stagiaire qui a travaillé avec elle pendant l’été et qui lui a donné « un gros coup de main ».