Aveugle depuis 17 ans, un homme de Gatineau, Dean Steacy, se bat depuis cinq ans pour que la pharmacie Rexall de son quartier adopte la technologie des « ordonnances parlantes ».
Il prend de l’insuline et jusqu’à 10 comprimés par jour pour son diabète et pour d’autres conditions médicales.
Il doit parfois compter sur d’autres personnes pour l’aider à gérer ses médicaments. Le manque d’indépendance lui enlève en quelque sorte une partie de sa dignité, a-t-il expliqué à CBC.
Et comme il ne peut pas voir ses ordonnances, il craint toujours d’en prendre trop, pas assez ou même d’ingérer le mauvais médicament. Une erreur d’insuline, dit-il, peut avoir de graves conséquences.
« Si j’en prends trop ou pas assez, je peux faire un choc diabétique ou une hypoglycémie. »
Il dit que c’est aussi une lutte pour s’assurer qu’il obtient et peut commander à nouveau le bon médicament.
C’est là qu’intervient ScripTalk, une technologie qui utilise une puce à radiofréquence fixée au fond d’un flacon d’ordonnance. Elle contient les mêmes informations qu’une étiquette d’ordonnance, notamment la posologie, les instructions, les avertissements et le nombre de renouvellements, qui peuvent être lus à haute voix par un lecteur ou un téléphone intelligent.
La technologie est disponible au Canada depuis 2010.
M. Steacy fait pression sur Rexall pour qu’il adopte cette technologie depuis 2017.
Rexall dit étudier sa demande
Bien qu’on lui ait assuré à plusieurs reprises que la chaîne étudiait sa demande, Rexall n’a fait aucun progrès pendant cinq ans. En juin, Rexall a informé ScripTalk qu’elle n’adopterait finalement pas sa technologie, ce dont Dean Steacy a entendu parler grâce à son implication dans un groupe de défense des personnes ayant une perte de vision.
Après l’intervention de CBC, Rexall a changé de position, déclarant dans un communiqué que sa gestion de la demande de M. Steacy n’était pas conforme à ses normes et promettant de renouveler ses efforts.
« Nous travaillons actuellement avec M. Steacy pour mettre en place une solution. Rexall examine l’utilisation de cette technologie au cas par cas », a expliqué l’entreprise.
Par ailleurs, à la fin du mois d’août, la chaîne a promis à M. Steacy que son Rexall local, sur l’avenue Laurier Ouest à Ottawa, répondrait à sa demande de ScripTalk.
Douze semaines plus tard, il attend toujours. Rexall n’a pas répondu à d’autres questions de CBC sur ce retard.
L’expert en droits des personnes handicapées et avocat David Lepofsky est frustré par la situation.
« Je suis consterné, mais pas surpris qu’il soit nécessaire que les médias braquent les projecteurs pour que quelqu’un décide que cette pratique doit être corrigée. »
Un combat mené ailleurs au Canada
En 2014, le groupe de défense de la Colombie-Britannique Access for Sight Impaired Consumers (ASIC) a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre Shoppers Drug Mart et Walmart.
Le groupe a accusé les chaînes de pharmacies de délivrer des médicaments sur ordonnance dans un format non accessible, car elles n’utilisaient que des étiquettes imprimées.
Le président du groupe, Rob Sleath, est aveugle et a subi une transplantation rénale. Le problème était personnel pour lui ; il prenait plus d’une douzaine de médicaments et avait du mal à les garder en ordre.
Il a dirigé la plainte de l’ASIC, qui s’est réglée en 2016 par un compromis.
Shoppers Drug Mart a accepté de proposer des ordonnances parlantes par l’entremise d’un système de « remplissage central », ce qui signifie qu’au lieu que les médicaments soient préparés sur demande à la pharmacie locale, ils sont remplis hors site avec la technologie d’ordonnance parlante. Cela peut prendre jusqu’à deux jours ouvrables. Ensuite, ils peuvent être récupérés ou livrés.
En raison de ce délai, M. Sleath considère que l’accord n’est qu’une « victoire partielle », et que cela reste discriminatoire.
« Si vous avez une sorte d’infection ou si vous souffrez et que vous avez besoin d’une ordonnance immédiatement, ce n’est pas vraiment inclusif. Ce n’est pas équitable », a-t-il affirmé.
À la suite de la plainte de l’ASIC, Walmart a également rendu ScripTalk disponible sur une base de « remplissage central » dans ses pharmacies de la Colombie-Britannique.
On ne sait pas exactement combien coûte la mise en œuvre de la technologie ScripTalk. L’entreprise affirme qu’il s’agit d’une information confidentielle et ne veut pas révéler ce que les pharmacies paient.
Mais l’avocat Me Lepofsky affirme que les grandes chaînes n’ont aucune excuse pour ne pas offrir des ordonnances parlantes sur demande, au comptoir, et ce, dans toutes les pharmacies.
Il dépeint une situation inversée : « Si le pharmacien vous tendait un flacon avec une étiquette en braille, vous diriez : « Je ne peux pas lire ça. Combien de comprimés dois-je prendre? Avec quoi puis-je les mélanger? » »
De l’avis de Me Lepofsky, le fait de ne pas fournir des étiquettes accessibles en temps opportun constitue une « violation flagrante des codes des droits de la personne » partout au Canada.
Selon l’Institut national canadien pour les aveugles, 1,5 million de Canadiens souffrent d’une perte de vision. Pour eux, la bataille pour une plus grande accessibilité se poursuit. Ils sont maintenant confrontés à un casse-tête de pharmacies offrant un accès différent aux ordonnances parlantes.
La disponibilité de ScripTalk dans les pharmacies canadiennes :
- Loblaws : Pas encore disponible, mais la « planification est en cours »
- London Drugs : Disponible le jour même, au comptoir, dans neuf succursales de l’Ouest canadien, avec la possibilité d’ajouter rapidement ScripTalk à tout établissement à la demande du client
- Metro (Jean Coutu) : Pas disponible
- Rexall : Sera déployé dans la succursale de l’avenue Laurier Ouest à Ottawa, mais cela ne s’est pas encore produit au moment de publier ce texte
- Shoppers Drug Mart (qui appartient désormais à Loblaw) : Service de « remplissage central » disponible. Le nombre de succursales est limité, mais Shoppers affirme que ScripTalk est disponible dans n’importe quel endroit à la demande du client
- Sobeys : Disponible le jour même, au comptoir, dans tous les établissements
- Walmart (en Colombie-Britannique) : Service de « remplissage central » disponible
- Walmart (hors de la Colombie-Britannique) : Pas disponible
Le Gatinois Dean Steacy, quant à lui, est fermement convaincu que les ordonnances parlantes devraient être disponibles pour ceux qui en ont besoin, quand et où ils en ont besoin.
« Pour moi, c’est un droit d’accès. C’est un droit à l’indépendance. C’est un droit à la sécurité que tout le monde obtient. Pourquoi devrais-je être laissé de côté? »