Une pénurie d’interprètes prive les personnes sourdes de services essentiels

Temps de lecture estimé : 5 minutes.

Un interprète devant un écran vert.

Le Québec est aux prises avec un manque d’interprètes spécialisés en français-langue des signes québécoise.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Une pénurie d’interprètes en langue des signes empêche plusieurs personnes sourdes un peu partout au pays d’accéder aux services auxquels elles ont droit. Des rendez-vous médicaux, des comparutions en cour et des services aux élèves se font sans interprète, faute de personnel.

Regardez ce texte en langue des signes québécoise

Danielle Danis7:31

Danielle Danis

Photo : Radio-Canada

Un de nos clients est resté plus de deux semaines à l’hôpital à cause d’un problème de cœur, mais il n’avait pas d’interprète pendant ses premiers jours, raconte François, un employé au centre de répartition du Service d’interprétation visuelle et tactile (SIVET). Il ne savait pas s’il pouvait sortir, si la raison de son hospitalisation était grave ou non.

Malgré ses 80 interprètes, le SIVET, le plus important des cinq centres d’interprétation au Québec, refuse plus de 120 requêtes par mois.

Dans ce cas, les proches peuvent pallier l’absence d’interprète, mais cette solution ne doit être utilisée qu’en dernier recours, croit Lorena Garrido, directrice du SIVET. La confidentialité est importante. Moi, je ne me verrais pas aller à un rendez-vous chez le psychologue avec ma mère, déclare-t-elle.

Imaginez devoir porter la justesse d’un diagnostic médical sans être un interprète accrédité. Ça crée aussi une lourdeur pour les proches des personnes malentendantes.

Une citation de Lorena Garrido, directrice du SIVET

Depuis son entrée en poste, en 2019, la directrice a vu le nombre de demandes augmenter de 30 %. Il y a des choix déchirants. Si quelqu’un nous demande un interprète pour un rendez-vous médical à la dernière minute, nos répartiteurs ont l’odieux de lui annoncer que ce n’est pas possible, affirme-t-elle.

Lorena Garrido parle devant un écran bleu.

Lorena Garrido est directrice du Service d’interprétation visuelle et tactile.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le centre priorise les demandes qui concernent un rendez-vous médical ou de service social. Les services juridiques, les rencontres syndicales ou les rendez-vous bancaires sont relégués au second rang, faute de financement et de personnel.

Cette gestion serrée oblige les personnes sourdes à planifier leurs besoins avec beaucoup d’anticipation. C’est le cas de Jolianne Klaver, une adolescente de 16 ans, qui a dû réserver son interprète bien à l’avance pour son rendez-vous avec l’optométriste.

Sinon, je n’aurais pas pu communiquer avec le médecin. Et ce sont des informations qu’il faut que je comprenne. Vous imaginez, pas d’interprète, de rentrer chez moi, de me dire, mais mince, peut-être que j’ai mal compris quelque chose?, dit-elle.

Seulement 2,8 % de la population malentendante utilise une langue des signes au Québec, soit près de 4000 personnes en 2012, selon Statistique Canada.

Des classes vides

Non seulement le Québec vit déjà une pénurie d’interprètes, mais celle-ci pourrait s’aggraver. Au cours des trois dernières années, seulement 12 étudiants ont obtenu leur diplôme en interprétation français-langue des signes québécoise (LSQ). Une augmentation de seulement 5 % de la main-d’œuvre.

Il n’y a qu’un seul programme universitaire en interprétation langue des signes au Québec. On compte quatre autres établissements au pays qui enseignent le français-LSQ ou l’anglais-ASL (American sign language).

Cette maigre offre de cours tient aux coûts de tels programmes, qui accueillent de petites cohortes. La pénurie d’enseignants frappe aussi le secteur : les quelques personnes qui maîtrisent ces langues des signes sont déjà sollicitées comme interprètes.

Une interprète de la langue des signes au travail.

Il n’existe qu’un seul programme universitaire en interprétation langue des signes au Québec.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Quand on parle de pénurie d’interprètes, on parle de pénurie de professionnels, explique Anne-Marie Parisot, directrice du programme à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Et nous, on l’observe sur le terrain. On a une grande difficulté à recruter des étudiants.

Dans la province à côté, en Ontario, les élèves du secondaire peuvent choisir d’apprendre la langue des signes, précise Lorena Garrido. Ça crée une ouverture dès l’adolescence. Ici, on est vraiment loin de ça. La langue des signes n’est même pas reconnue comme langue officielle au Québec.

Un autre défi à surmonter d’ici 2040

En 2019, le gouvernement fédéral adoptait la Loi canadienne sur l’accessibilité pour favoriser l’intégration des personnes sourdes à la société d’ici 2040.

Dorénavant, recevoir des services adaptés dans toutes les organisations fédérales allait devenir un droit reconnu pour les personnes handicapées. Elles n’auront plus à en faire la demande.

Or, pour plusieurs associations de défense des droits des personnes sourdes, comme le Réseau québécois pour l’inclusion des personnes sourdes et malentendantes (REQIS), le chemin à parcourir paraît immense.

En tant que citoyen, leur participation n’est pas pleine et entière dans la communauté en ce moment, constate Lucie Nault, porte-parole du REQIS.

Elle ajoute : On a des enjeux avec l’éducation des enfants au niveau de l’accessibilité pour le matériel éducatif. C’est difficile aussi de trouver un employeur qui va être prêt à faire les adaptations. Sans parler de l’accessibilité aux sports et à la culture.

Publié le 22 août 2024
Par Rose St-Pierre