École et handicap : les aménagements d’examens, une vraie garantie d’égalité ?

Temps de lecture estimé : 7 minutes.

Depuis la mise en place de la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances, l’école inclusive est devenue un objectif majeur du système éducatif français. Aujourd’hui, il s’agit de mettre en place une éducation de qualité à destination de tous les élèves, quels que soient leurs différences et leurs besoins.

Si les moyens financiers et humains alloués à l’accompagnement des élèves en situation de handicap ont augmenté ces dernières années, comme cela a été rappelé lors de la conférence nationale du handicap du 26 avril dernier, ils paraissent parfois insuffisants et ne permettent pas de généraliser les pratiques pédagogiques nécessaires à cette inclusion. Par ailleurs, au-delà de la question des moyens, d’autres barrières existent. Par exemple, la mise à disposition de certains aménagements pour des élèves dits « à besoins éducatifs particuliers » (BEP), comme le fait d’être assisté par un secrétaire ou de disposer d’une salle séparée lors des évaluations, semble cristalliser les doutes de certains enseignants et parents.

Dans ce cas, les enseignants et les parents, voire même les élèves, peuvent s’interroger sur la comparabilité des résultats entre les élèves. La « performance » de l’élève en situation de handicap à l’évaluation « vaut-elle la même chose » si, par rapport à ses camarades, il ou elle a bénéficié d’un tiers-temps, du soutien d’un AESH (accompagnant d’élèves en situation de handicap), ou bien d’une assistance informatique ?

Des évaluations pour former et sélectionner

Pour bien comprendre cette problématique, il nous faut revenir sur ce qui définit l’évaluation en classe. Récemment, la conférence de consensus du CNESCO (Centre National d’Étude des Systèmes Scolaires) a rappelé le rôle d’une évaluation au service des apprentissages : faire le point sur les acquis et les difficultés de l’élève permet à l’enseignant de proposer des ajustements pédagogiques pour répondre à ses besoins. Cela doit aider l’élève à mieux comprendre ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas encore, en identifiant ses forces et ses faiblesses, et ainsi permettre une meilleure communication entre l’enseignant, l’élève et les parents en fournissant une vision partagée des acquis et des progrès de l’élève. En somme, l’évaluation doit être un outil précieux pour les apprentissages.

Il apparait toutefois que ce rôle n’est pas le seul que l’on attribue à l’évaluation. En effet, selon la perspective sociologique dite « fonctionnaliste », s’il apparaît que l’école doit former, et donc évaluer pour mieux former, elle aurait aussi pour objectif de sélectionner.

Sélectionner signifie que l’école doit identifier les individus aptes à occuper les positions les plus valorisées de la société, et ce, en les triant sur la base de leur mérite individuel (c’est-à-dire les efforts qu’ils réalisent dans leurs apprentissages). Dans ce cas, et non lorsqu’elle sert des objectifs d’apprentissage, l’évaluation permet de classer les élèves entre eux et contribue ainsi à légitimer les inégalités scolaires en les présentant comme le résultat de différences de mérite plutôt que de l’influence des déterminants sociaux. Dans cette perspective, l’évaluation doit être la même pour tous et toutes, afin d’être sûr d’être dans les bonnes conditions pour « classer » les élèves.

Or, dans le cas de l’évaluation des élèves en situation de handicap ou à besoins éducatifs particuliers, mettre en place des aménagements, modifier les conditions dans lesquelles les évaluations se déroulent peut laisser penser que celles-ci ne garantissent plus l’égalité entre les élèves, puisque certains seraient « aidés » par rapport à d’autres.

Pourtant, attribuer des aménagements tels qu’un tiers-temps ou la présence d’un accompagnant AESH n’a pas pour but de donner un avantage mais de compenser les difficultés associées au handicap dans le but de permettre une participation équitable aux mêmes activités et évaluations que les autres élèves. La littérature scientifique montre d’ailleurs que, dans la grande majorité des cas, les aménagements servent à « rendre les règles du jeu équitables » et ne procurent pas d’avantages indus, en termes de performance académique, aux élèves qui en bénéficient.

L’effet « backlash » : quand les aménagements renforcent les stéréotypes

Néanmoins, la perception subjective de ces aménagements comme des « aides » ou des éléments « injustes » peut avoir plusieurs conséquences négatives. Considérer que ces élèves bénéficient d’un traitement de faveur et que leurs succès académiques ne sont pas le résultat de leurs propres compétences, mais plutôt du fait qu’ils ont reçu des aménagements ou de l’aide supplémentaire, perpétue des stéréotypes et des préjugés. Cela peut contribuer à la stigmatisation des élèves en situation de handicap. En d’autres termes : en attribuant la réussite d’un élève sur l’aménagement plus que sur sa propre compétence, ces élèves peuvent subir le phénomène dit du « backlash ».

Dans le cadre de notre projet de recherche DIVISE (financé par l’Agence Nationale de la Recherche), nous avons pu montrer par exemple que si enseignants et camarades semblent reconnaître les performances d’élèves ayant reçu des aménagements lors d’évaluation, ils les jugeaient en réalité comme faisant moins d’efforts ou comme étant moins compétents, particulièrement lorsque l’aménagement impliquait une charge de travail différente.

Cette dévalorisation de leurs réalisations et de leur travail peut avoir des conséquences négatives sur leur estime de soi et leur motivation scolaire. Afin de prévenir cette discrimination, des solutions existent pour repenser l’articulation entre aménagement et évaluation. Par exemple, une perspective universelle permet d’approcher cet enjeu en considérant que tous les élèves disposent de besoins particuliers. La réflexion porte alors principalement sur la prise en compte des obstacles rencontrés par tous les élèves dans une situation évaluative, ainsi que la modification de cette dernière pour permettre aux élèves à besoins éducatifs particuliers d’exprimer réellement leur compétence sans empêcher les autres de démontrer la leur.

Ainsi plutôt que de réaliser des ajustements sur la forme (lisibilité et organisation des supports d’évaluation) ou les conditions d’évaluation (formalisation de la consigne à l’oral plutôt qu’à l’écrit) pour un seul et unique élève, il s’agirait de proposer à tous ces mêmes transformations. Une telle perspective permettrait à des élèves souffrant de troubles spécifiques de mieux démontrer leurs compétences tout en mettant l’ensemble du groupe classe dans les mêmes conditions.

Quoiqu’il en soit, améliorer l’acceptation de l’inclusion scolaire passera nécessairement par la confrontation à certaines barrières idéologiques. La sensibilisation des enseignants, élèves et leurs parents aux enjeux de l’inclusion, notamment lors des évaluations, est une étape cruciale pour arriver à leur collaboration au sein de la communauté éducative et soutenir la pleine participation de tous les élèves.

À lire aussi

Publié le 09 mai 2023
Par Arnaud Stanczak, Docteur en psychologie sociale, post-doctorant au laboratoire ACTé, Université Clermont Auvergne (UCA) et Mickaël Jury, Maître de conférence en psychologie à l'INSPÉ Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)